Avis JDP n°487/17 – ORGANISME PROFESSIONNEL – Plaintes fondées

Avis publié le 28 décembre 2017
Plaintes fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu les représentants des annonceurs, d’une part, et la représentante de l’association Les Chiennes de garde, d’autre part,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. Les plaintes

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, entre les 17 et le 21 octobre 2017, d’une dizaine de plaintes émanant de particuliers, ainsi que d’une plainte du 17 octobre 2017, émanant de l’association Les Chiennes de Garde, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité, diffusée sur Internet et en presse, en faveur des représentants des notaires.

Cette publicité présente l’image d’une femme tournée de trois-quarts, dont on voit le visage et les épaules, découvertes. Elle porte, sur son épaule gauche, un tatouage représentant des lettres entrelacées. Une courte mention accompagne cette image : « Les écrits restent. Ceux des notaires vous protègent ».

2. Les arguments échangés

– Les plaignants considèrent que cette publicité représentant une femme dont les épaules dénudées portent un tatouage représentant les lettes A et V est sexiste, car elle utilise l’image d’un corps de femme nu pour vendre un produit sans rapport avec le corps, voire présente la femme comme un objet appropriable. Certains plaignants soulignent que les lettres « A » et « V » du tatouage semblent indiquer que la femme est « à vendre », ce qui est dégradant pour son image.

– Les annonceurs ont été informés, par courrier recommandé avec avis de réception du 31 octobre 2017, des plaintes dont copies lui ont été transmises et des dispositions dont la violation est invoquée.

Les représentants des annonceurs font valoir que l’objectif recherché était de s’adresser à une population urbaine et jeune qui ne recourt pas suffisamment aux services de protection juridique que les notaires assurent, notamment pour le patrimoine personnel au moment où un couple se forme.

Le contexte du transfert aux communes de la gestion des PACS (effectif au 1er novembre) est apparu opportun pour cette campagne, dans la mesure où la pratique professionnelle des notaires permet de constater les dommages considérables liés à l’impréparation de celles et ceux qui décident d’unir leur vie quotidienne.

Pour cela, les annonceurs ont fait appel à une société de communication réputée, l’Agence qui leur semblait présenter toutes les garanties de professionnalisme nécessaires. Cette société a été auditionnée au printemps dernier par la commission en charge de la communication.

L’agence a insisté, selon eux, sur la nécessité d’une communication répondant aux reproches d’hermétisme et d’éloignement souvent faits à la profession et à ses difficultés d’expression dans la cité (notamment auprès de la tranche d’âge 25-40 ans). Ses préconisations ont par conséquent consisté à choisir un message composé de deux visuels illustrant des « serments d’amour » (via les symboles représentés par le cadenas ou le tatouage) destinés à pérenniser le lien, mais qui ne peuvent pas protéger réellement les membres du couple.

Les annonceurs ont aujourd’hui conscience que, dans le contexte de l’affaire Weinstein qui a éclaté au même moment, un des deux visuels est apparu caractérisé, pour reprendre les termes du courrier reçu, par une « connotation sexiste et dégradante, avec une femme aux épaules dénudées, arborant un tatouage et un sourire naïf ». Ils affirment regretter vivement ce sentiment car il n’était absolument pas dans leur intention, même pour susciter l’attention, de heurter le public auquel ils souhaitent s’adresser en priorité. Certaines appréciations (sur le regard naïf, le tatouage, ou les épaules dénudées) leur apparaissent subjectives et restent même aujourd’hui contestées par beaucoup.

Ils indiquent que cette expérience leur permettra à l’avenir de mieux prendre en considération les éléments et les risques d’une campagne de communication, n’étant pas experts en la matière. La profession compte autant de femmes que d’hommes, et de nombreuses jeunes femmes, engagées dans les combats de leurs générations et de leur cité.

La campagne de publicité qui avait été programmée entre le 16 et le 20 octobre est désormais achevée. Le visuel contesté a été retiré des supports de communication digitaux.

Par conséquent, les annonceurs estiment que leur publicité ne portait pas atteinte à la dignité des femmes et à la décence et n’avait pas d’objectif avilissant ou aliénant, même s’il y avait intention de mettre en avant le risque de choix d’impulsion ou irraisonnés, et l’opportunité de confier à un professionnel le soin d’aider à un meilleur discernement.

– Le journal souligne que le visuel joint à la plainte n’est pas exactement celui qui a été diffusé les 16/18/20 octobre 2017, dans la mesure où il manque le texte d’accompagnement du visuel, ce qui tronque la perception et l’interprétation que l’on peut avoir du message. Le texte complet accompagnant l’image indique « Mariage, PACS, concubinage, à l’heure des serments d’amour, le choix du type d’union vous importe peu. Pourtant, il n’est pas sans conséquence. Alors, pour que votre promesse soit aussi une garantie, ayez le réflexe notaire. Il saura vous guider sur le choix du statut le plus protecteur selon votre situation personnelle et familiale. Avec le notaire, vos écrits ne risquent pas de tomber dans l’oubli. »

Le message véhiculé ne lui semble ni malveillant, ni dégradant pour les personnes, bien au contraire. Encourager la protection juridique, tout particulièrement des femmes, est une intention plus que louable. Selon le représentant du journal, le trait d’esprit lié à cette création publicitaire permet de faire passer le message sous une forme humoristique, attractive et élégante qui ne dégrade nullement la dignité et la décence des femmes. Il ne s’agit pas non plus d’une représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine liée à la nudité. Il ajoute que la représentation d’un « A » et d’un « V » lui avait échappé.

Lors de la séance, la responsable de l’agence a exposé que le visuel choisi était en corrélation avec la cible de personnes jeunes visée. Elle a expliqué que la jeune femme montrée sur le visuel regarde le tatouage de son épaule qui est un témoignage d’amour symbole de son engagement. Elle n’est pas du tout présentée comme une femme objet, mais comme une femme jeune, libre et qui décide d’aller chez son notaire.

Les deux initiales A et V n’avaient d’autre signification de prénoms et personne à l’agence n’a vu qu’elles pouvaient être interprétées comme « A vendre ».

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP dispose que :

« 2-1 La publicité ne doit pas réduire les personnes humaines, et en particulier les femmes, à la fonction d’objet.

2-2 La publicité ne doit pas cautionner l’idée de l’infériorité d’une personne en raison de son sexe, de son origine, de son appartenance à un groupe social, de son orientation ou identité sexuelle ou de tout autre critère de discrimination, notamment en réduisant son rôle et ses responsabilités dans la société.

2-3 La publicité ne peut valoriser, même indirectement, des sentiments ou des comportements d’exclusion, d’intolérance, de sexisme ».

Le Jury relève que la publicité en cause montre une femme tournée de trois-quarts, dont on voit le visage souriant et les épaules, découvertes. Elle regarde son épaule gauche, qui porte un tatouage représentant des lettres entrelacées. Une courte mention accompagne cette image : « Les écrits restent. Ceux des notaires vous protègent ».

Si le Jury comprend l’intention de cette présentation comme visant à promouvoir les services des notaires, en comparant implicitement le tatouage comme symbole d’attachement, et l’écrit notarial, seul à même de produire des effets juridique protecteurs, la présentation choisie utilise néanmoins le corps dénudé de la femme comme un support publicitaire et la réduit donc à une fonction d’objet, ce qui est contraire au point 2.1 de la Recommandation précitée.

Il est sans incidence à cet égard que lors de la campagne publicitaire, un autre visuel ait montré, dans le même but, des « cadenas d’amour » attachés à un pilier.

Par ailleurs, le Jury estime que les lettres figurant sur le tatouage représentent des initiales de prénom et n’ont pas d’autre signification, même si s’agissant d’une publicité pour les services notariaux d’autres initiales eussent été moins ambigües.

En conséquence de ce qui précède, le Jury est d’avis que la publicité en cause n’est pas conforme aux dispositions du point 2.1. de la Recommandation précitée. Il prend acte de ce que la publicité en cause a pris fin.

Avis adopté le vendredi 1er décembre 2017 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, Mme Lieber, Vice-Présidente, Mmes Drecq et Moggio, MM. Carlo, Depincé, Lacan et Leers.