Avis JDP n°320/14 – AUTOMOBILE – Plainte partiellement fondée

Avis publié le 26 juin 2014
Plainte partiellement fondée                            

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations et à prendre part à la séance,

– après avoir entendu les représentants de la Fédération Nationale des Associations d’Usagers des Transports (FNAUT), de la société annonceur et de son agence de communication,

– et, après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1.La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi d’une plainte de la Fédération Nationale des Associations d’Usagers des Transports (FNAUT), en date du 18 mars 2014, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité en faveur d’un modèle de véhicule électrique, diffusée dans un journal quotidien parisien, le 17 mars 2014.

Cette publicité présente la voiture à l’arrêt, sur un fond bleu-vert, cette image étant accompagnée de l’accroche publicitaire « Pour lutter contre la pollution, roulez en voiture ».

En dessous de l’image apparaît une offre de location longue durée du véhicule et le texte « 100% électrique, 0% d’émissions** », les astérisques renvoyant à la mention : « ** De CO2 à l’usage (hors pièces d’usure) ».

2.La procédure

Cette affaire qui devait être initialement examinée lors de la séance du Jury de Déontologie Publicitaire du 16 mai 2014 a fait l’objet d’un report, à la demande de la société annonceur.

Le groupe représentant le journal, a adressé au Jury des observations écrites en-dehors du délai imparti. Celles-ci n’ont donc pas été prises en compte.

3.Les arguments échangés

L’association plaignante estime que par son slogan « Pour lutter contre la pollution, roulez en voiture », la publicité litigieuse méconnaît plusieurs dispositions de la Recommandation « Développement durable » de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) relatives à la véracité des actions, à la proportionnalité et à la clarté des messages, à l’utilisation du vocabulaire, à la complexité du dispositif et à la responsabilité sociale.

En premier lieu, elle comporterait une promesse en matière de développement durable sans porter sur les trois piliers du développement durable (environnemental, social et économique), en méconnaissance du point 1/2 de la Recommandation.

En deuxième lieu, cette publicité laisserait entendre abusivement, et sans le moindre élément justificatif ou explicatif, que la voiture agirait comme un « aspirateur à pollution » ou un « puits de carbone », c’est-à-dire qu’elle permettrait de réduire la pollution générée par d’autres sources. Elle contreviendrait donc aux points 1/1, 2/1, 2/3, 3/1, 3/6 et 6/1 de la Recommandation.

En troisième lieu, le slogan utiliserait une formulation globale impossible à justifier. Faute de la relativiser par une formulation comme « contribue à », la publicité méconnaîtrait le point 6/3 de la même Recommandation. La FNAUT ajoute que l’annonce ne précise à aucun moment sur quelle activité de l’entreprise porte la lutte contre la pollution alléguée.

En quatrième lieu, la publicité serait contraire au point 8 de la Recommandation « Développement durable » concernant les dispositifs complexes, en utilisant un raccourci simplificateur qui alléguerait un bénéfice indirect en matière de développement durable.

En cinquième et dernier lieu, cette publicité véhiculerait un message contraire aux principes communément admis du développement durable, qu’elle tendrait à discréditer, et, en particulier, elle inciterait à des modes de consommation excessive ou au gaspillage d’énergies et de ressources naturelles. Elle méconnaîtrait donc le point 9 de la même Recommandation.

La FNAUT insiste à cet égard sur le contexte dans lequel cette publicité a été diffusée, à savoir le pic de pollution de mars 2014 et la mesure de circulation alternée mise en place par les pouvoirs publics.

L’annonceur fait valoir que l’annonce en cause portant le titre « Pour lutter contre la pollution, roulez en voiture » s’inscrivait dans le contexte ponctuel de circulation alternée annoncée par les autorités administratives à la veille du week-end des 15 et 16 mars. En application de l’arrêté inter-préfectoral du 27 octobre 2011 et de l’article L. 223-2 du code de l’environnement, les véhicules à moteur thermique et eux seuls étaient concernés par cette restriction de circulation. Les véhicules électriques en étaient exclus, dès lors qu’ils ne dégagent pas de particules et ne contribuent pas, à l’usage, à la pollution atmosphérique.

Le titre de l’annonce est une référence à la politique menée par la marque pour contribuer progressivement à la réduction de la pollution de l’air grâce à la commercialisation de véhicules entièrement électriques. La publicité ne traite que des aspects environnementaux, et non des autres piliers du développement durable.

L’annonceur estime que le slogan ne peut être lu isolément, mais doit au contraire être mis en relation avec les mentions figurant en bas de la publicité, faisant état de l’absence d’émissions à l’usage (hors pièces d’usure). Le consommateur moyen, normalement informé, est tout à fait à même de prendre connaissance intégralement de la publicité et de procéder à cette lecture, s’agissant d’une diffusion presse.

La société indique qu’en tout état de cause, elle n’a pas eu pour intention d’induire l’absence d’effet négatif du véhicule électrique et encore moins un effet bénéfique de ce véhicule permettant de traiter la pollution atmosphérique existante.

Il est en revanche exact que l’usage croissant de véhicules électriques en milieu urbain contribue à réduire les quantités de polluants émis par le parc roulant et, par-delà, améliore la qualité de l’air en centre-ville, comme le montre une étude portant sur la ville de Rome.

L’annonceur réfute donc l’argumentation de la FNAUT, tout en reconnaissant que la campagne a été élaborée dans l’urgence et qu’elle est perfectible.

L’agence souscrit à l’argumentation de l’annonceur. Elle indique que, compte tenu du contexte dans lequel cette publicité a été élaborée, aucun conseil n’a été sollicité auprès de l’ARPP. Elle insiste sur la nécessité d’analyser la publicité dans son ensemble et dans son contexte de diffusion.

4.L’analyse du Jury

La Recommandation « Développement durable » de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) dispose, notamment, que :

« 1/1 La publicité ne doit pas induire le public en erreur sur la réalité des actions de l’annonceur ni sur  les propriétés de ses produits en matière de développement durable.

1/2 La publicité ne peut exprimer une promesse globale en matière de développement durable si l’engagement de l’annonceur ne porte pas cumulativement sur les trois piliers du développement durable.

2/1 Le message publicitaire doit exprimer avec justesse l’action de l’annonceur ou les propriétés de ses produits, en adéquation avec les éléments justificatifs dont il dispose.  La réalité de ces actions ou propriétés peut s’apprécier au regard des différents piliers du développement durable, des différents types d’impacts possibles et des différentes étapes de la vie du produit.

2/3 (…) b/ Le message publicitaire ne saurait suggérer indûment une absence totale d’impact négatif.

3/1 – L’annonceur doit indiquer dans la publicité en quoi ses activités ou ses produits présentent les qualités revendiquées.

3/6 – Tout argument de réduction d’impact ou d’augmentation d’efficacité doit être précis et s’accompagner de précisions chiffrées, en indiquant la base de comparaison utilisée.

6/1 – Les termes et expressions utilisés ne doivent pas induire le public en erreur sur la nature et la portée des propriétés du produit ou des actions de l’annonceur en matière de développement durable. 

6/3 – Dans le cas où il serait impossible de justifier des formulations globales (ex. : écologique, vert, éthique, responsable, préserver, équitable, durable,…), la publicité doit les relativiser en utilisant des formulations telles que « contribue à ». »

8/ – Certains dispositifs reconnus peuvent reposer sur des démonstrations très techniques ou sur des montages complexes dans lesquels le bénéfice en matière de développement durable est indirect (ex. dispositifs dits “électricité verte”, “compensation carbone”, “Investissement Socialement Responsable”, etc.). Lorsque la publicité fait référence à ce type de dispositif : (…) 8/2 – Si elle utilise des raccourcis simplificateurs à visée pédagogique, elle doit apporter au public les explications nécessaires, aux conditions définies par l’article 3-4 de ce texte.

9 – (…) Sans qu’il soit fait référence au concept de développement durable ou à l’une de ses composantes, une publicité doit éviter de véhiculer un message contraire aux principes communément admis du développement durable.

9/1 – b/ La publicité ne saurait inciter, directement ou indirectement, à des modes de consommation excessive ou au gaspillage d’énergies et ressources naturelles (…) »

9/2 – La publicité ne doit pas discréditer les principes et objectifs, non plus que les conseils ou solutions, communément admis en matière de développement durable. »

Le Jury constate en premier lieu que la publicité litigieuse ne comporte aucune promesse globale en termes de développement durable. La FNAUT ne peut donc utilement se prévaloir du point 1/2 de la Recommandation précitée. De même, n’est pas en cause un dispositif complexe au sens du point 8 de cette Recommandation, qui n’est donc pas applicable en l’espèce.

Le Jury considère en deuxième lieu que, si le message « Pour lutter contre la pollution, roulez en voiture » n’est pas dépourvu d’ambiguïté, un consommateur moyen et raisonnablement attentif à cette publicité diffusée en presse ne saurait être induit en erreur ni sur la nature de la pollution dont il est question, à savoir la pollution atmosphérique, ni sur le sens principal du message, qui tend seulement à promouvoir l’utilisation du véhicule électrique en lieu et place des véhicules à moteur thermique. Cette publicité ne saurait ainsi être interprétée comme alléguant que le véhicule électrique promu aurait pour fonction ou pour effet d’absorber la pollution atmosphérique émise par d’autres véhicules, appareils ou installations.

Elle n’induit en outre nullement l’idée que les véhicules électriques n’auraient aucun impact négatif sur l’environnement dès lors, d’une part, qu’il s’agit de « lutter » contre la pollution, et non de la « supprimer », et, d’autre part, qu’il est précisé que l’absence d’émissions de CO2 se réfère à l’utilisation du véhicule, hors pièces d’usure, et non à l’ensemble de son cycle de vie ou à la production de l’électricité nécessaire à son rechargement.

En outre, il n’est pas contestable qu’à l’usage, les véhicules électriques ont un impact environnemental plus faible que les véhicules conventionnels.

En conséquence, cette publicité ne méconnaît pas les points 1/1, 2/1, 2/3, 3/1 et 6/1 de la Recommandation précitée.

En revanche, le Jury constate que la supériorité alléguée des véhicules électriques sur les véhicules à moteur thermique en termes d’incidence environnementale est formulée dans des termes très généraux et ne s’accompagne d’aucune précision, notamment, quant à la base de comparaison utilisée. La formulation « lutter contre la pollution » n’est nullement relativisée, contrairement aux prescriptions du point 6/3 de la Recommandation.

En outre, si elle ne peut s’analyser comme une incitation explicite au gaspillage d’énergie ou comme un dénigrement des principes, objectifs, conseils et solutions communément admis en matière de développement durable, la publicité en cause incite explicitement les consommateurs à rouler en voiture électrique pour réduire la pollution atmosphérique, alors qu’il existe de nombreux autres moyens de locomotion dont il est communément admis qu’ils sont moins nocifs pour l’environnement, comme les transports collectifs ou le vélo. Elle véhicule donc un message contraire aux principes communément admis du développement durable.

Dans ces conditions, le Jury est d’avis que cette publicité méconnaît les points 3/6, 6/3 et 9 de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP.

Le présent avis sera publié sur le site internet du JDP.

Avis adopté le vendredi 13 juin 2014 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, M. Lallet, Vice-Président, Mmes Drecq et Moggio, et MM. Benhaïm, Carlo, Lacan et Leers.