Avis JDP n°304/14 – TÉLÉPHONIE – Plaintes fondées

Décision publiée le 02.04.2014
Plaintes fondées                                

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– après avoir entendu l’un des plaignants, ainsi que les représentants du Haut Conseil à l’Egalité et de l’agence de communication,

– et, après en avoir délibéré, hors la présence des parties,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 6 janvier 2014, d’une plainte du Haut Conseil à l’Egalité et, les 6 et 8 janvier 2014, de plusieurs plaintes de particuliers, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une campagne publicitaire diffusée en presse, en faveur d’une société de téléphonie.

Cette campagne comporte deux visuels présentant la Box fibre de l’annonceur accompagnés des slogans suivants :

« Téléchargez aussi vite que votre femme change d’avis »

« Téléchargez aussi vite que votre mari oublie ses promesses ».

Les plaintes portent exclusivement sur le premier.

2.Les arguments des parties

Les plaignants considèrent que cette campagne est sexiste.

La plainte du Haut Conseil à l’Egalité soutient que cette publicité ne respecte pas les dispositions de la Recommandation « Image de la personne humaine » de l’ARPP relatives aux stéréotypes car elle banalise l’idée que les femmes ne sauraient avoir d’avis raisonné.

Dans des observations ultérieures, il a souligné que, bien que la seconde publicité – ciblant les hommes, pourrait être perçue comme le contre-pied de la première – ciblant les femmes, elle joue en réalité des mêmes mécanismes et pourrait tout autant avoir fait l’objet d’une plainte.

Il précise que cette publicité énonce explicitement un stéréotype en tant que caractéristique attribuée à un groupe social et selon lequel les femmes ne sont pas fiables, ce qui attribue un trait psychologique à une catégorie d’individus en fonction d’un critère biologique. Selon lui ce stéréotype de sexe alimente et renforce les hiérarchies de sexe en associant aux femmes un trait de caractère éminemment négatif, péjoratif et dévalorisant, c’est-à-dire un stéréotype sexiste.

Selon le Haut Conseil à l’égalité, les stéréotypes sexistes ont une valeur prescriptive et normative que les pouvoirs publics ont, depuis de nombreuses années, entrepris de combattre. Ainsi, la loi Léotard dispose que les publicités télévisées doivent être exemptes de toute discrimination à raison du sexe. Les instances européennes ont voté plusieurs résolutions, dans le même objectif, le Conseil de l’Europe, le 5 octobre 1995, concernant le traitement de l’image des femmes et des hommes dans la publicité et les médias et le Parlement européen, le 6 octobre 1997, sur la discrimination de la femme dans la publicité, ainsi que le 3 septembre 2008 sur l’impact du marketing et de la publicité sur l’égalité des genres.

L’agence de communication explique que parmi la multitude d’offres existantes dans le secteur des télécommunications et la complexité du discours publicitaire, la société annonceur a choisi d’articuler sa nouvelle campagne autour d’un seul critère, fondamental aux yeux du consommateur, la vitesse et le débit de connexion. Ainsi que le montrent ses dernières publicités, l’annonceur a souvent privilégié un ton humoristique et simple pour ses campagnes sur la fibre. Le message critiqué doit donc se lire sous le prisme de l’humour et du ton décalé.

Elle fait valoir que la publicité s’adresse à tous types de consommateurs sans viser la femme uniquement et que le public a parfaitement compris l’esprit et le trait d’humour venant illustrer la rapidité.

L‘agence précise que l’utilisation de l’expression “Changez d’avis aussi vite que “ juxtaposée au mot “femme” ne peut être considérée comme un stéréotype et que le consommateur est libre de choisir l’identité de la « femme » à laquelle se réfère le message qui s’adresse à toute personne et ce, quel que soit son genre.

Ainsi la publicité se décline par plusieurs messages qui visent chacune un type choisi de différences :

De générations pour le visuel petit fils/grand-mère : “ma grand-mère avait l’ADSL, moi j’ai la fibre”, publicité diffusée du 15 au 21 janvier 2014,

Entre province et Paris pour les visuels “Tellement rapide que même un parisien n’a pas le temps de se plaindre”, publicité diffusée du 24 au 28 août 2012 ou “Les Parisiens vont encore vous dire qu’ils ont tout vu”, publicité diffusée du 22 au 28 août 2012 et du 18 au 24 septembre 2012

Au sein d’un couple : comme le slogan critiqué ou  “Téléchargez aussi vite que votre mari oublie ses promesses”, publicité diffusée le 8 janvier 2014.

Aucun de ces visuels n’a suscité de réaction négative.

Selon elle, le visuel mis en cause, diffusé le 6 et le 8 janvier 2014, s’inscrit naturellement au sein d’une campagne plus large qui a pour mot d’ordre : la fibre est faite pour chacun quel que soit son âge, son lieu géographique et son sexe.

Enfin, l’agence explique que changer d’avis est un droit et non un défaut. Cette possibilité étant un droit consacré par la réglementation sur la protection du consommateur, l’accroche critiquée ne fait que mettre en avant la liberté de choix du consommateur consacrée par le droit européen et adoptée par le droit français. Etre à même de changer d’avis implique une prise de conscience raisonnée ainsi qu’une nécessaire réflexion permettant le choix et l’action. Il serait inexact de prêter à l’agence de publicité et à l’annonceur l’intention d’avilir, de rabaisser ou de diminuer quiconque changerait d’avis et a fortiori la figure de la femme. Au contraire, cette publicité  rappelle une figure de femme parfaitement émancipée et moderne, capable de réfléchir suffisamment rapidement et efficacement pour ne pas se perdre dans le panel de ces offres.

La société d’affichage indique avoir bien réalisé une campagne pour cet annonceur mais n’avoir toutefois pas affiché le visuel incriminé.

La société d’exploitation de l’hebdomadaire de diffusion conteste la recevabilité des plaintes car elles ne précisent pas dans quel numéro de l’hebdomadaire la publicité litigieuse aurait été diffusée. Elle explique qu’une seule plainte, anonyme de surcroît, vise de manière explicite l’hebdomadaire, mais qu’elle indique une date de publication inexacte.

Elle précise qu’en revanche, un article paru le 7 janvier 2014 sur le site internet a fait état, sous le titre « L’opérateur X a créé la polémique lundi en publiant une publicité jugée sexiste », de la polémique autour de la campagne publicitaire.

La société fait valoir par ailleurs qu’elle est très soucieuse du respect des dispositions du Code ICC et des Recommandations de l’ARPP, mais que la campagne ne lui semble pas contraire à la dignité ou à la décence ni comporter une représentation dégradante ou humiliante au sens de la Recommandation Image de la personne humaine.

Elle ajoute que la publicité en cause doit être examinée dans la globalité de la campagne, c’est-à-dire avec le message « Téléchargez aussi vite que votre mari oublie ses promesses ».

3.Les motifs de la décision du Jury

La Recommandation « Image de la personne humaine » de l’ARPP dispose, notamment, dans l’article 2 relatif aux « Stéréotypes sexuels, sociaux et raciaux » que :

« La publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet ».

« La publicité ne doit pas cautionner l’idée de l’infériorité d’une personne en raison de son appartenance à un groupe social, notamment en réduisant son rôle et ses responsabilités dans la société. L’expression de stéréotypes, évoquant les caractères censés être représentatifs d’un groupe social, ethnique, etc., doit tout particulièrement respecter les principes développés dans la présente Recommandation. »

Le Jury rappelle que l’utilisation de stéréotypes n’est pas interdite par cette Recommandation qui invite néanmoins à ce qu’une telle expression respecte ses prescriptions et notamment qu’elle ne soit pas dévalorisante pour le groupe social désigné par le stéréotype.

Le slogan « Téléchargez aussi souvent que votre femme change d’avis » procède de la déclinaison du dicton populaire « souvent femme varie », qui, dans sa version complète est suivi de la conclusion, « bien fol qui s’y fie ». Il véhicule l’idée que les femmes changent souvent et rapidement d’avis, ce qui sous-tend l’idée qu’elles ne sont pas capables d’une réflexion construite et fiable. Ce stéréotype est donc dévalorisant pour les femmes. Il a d’ailleurs au cours de l’histoire permis de justifier qu’elles soient privées de droits fondamentaux, comme celui de voter ou de gérer leur patrimoine et qu’elles ne se voient confier que des tâches subalternes sans responsabilités. L’idée selon laquelle il n’est pas dévalorisant de changer d’avis est ici sans portée, dans la mesure où si cette affirmation est exacte, le stéréotype auquel il est fait référence repose non sur la capacité à modifier son opinion mais sur l’inconstance et la versatilité.

Dans la publicité en cause, ce stéréotype est utilisé pour induire dans l’esprit de son lecteur que la box fibre de l’annonceur est particulièrement performante puisqu’elle permet de télécharger aussi vite que la femme de celui-ci change d’avis. Si la comparaison entre la vitesse d’un téléchargement et le changement d’avis d’une femme peut, par son exagération, porter certaines personnes à sourire et à y voir une inoffensive ironie, il n’en demeure pas moins que ce procédé banalise un stéréotype dévalorisant et contribue, quand bien même cela serait involontaire, à cautionner l’idée de l’infériorité des femmes.

Le fait que cette publicité soit contrebalancée par une version selon laquelle les hommes oublieraient leurs promesses, n’atténue pas l’effet néfaste qui s’y attache, d’une part, parce que les hommes ne sont pas les victimes de discriminations du seul fait de leur sexe, d’autre part, parce qu’il n’existe aucun stéréotype d’ordre général selon lequel les hommes, pris dans leur ensemble, ne tiendraient pas leurs promesses ou leurs engagements.

Enfin, il ne saurait être soutenu que l’impossibilité de jouer sur des stéréotypes fussent-ils dévalorisants, constituerait une atteinte à la créativité, puisque la profession s’est elle-même donnée pour règle de ne pas utiliser les stéréotypes sans respecter les principes de la Recommandation Image de la personne humaine, laquelle précise que la publicité ne doit pas cautionner l’idée de l’infériorité d’une catégorie de personnes en raison de son appartenance à cette catégorie, notamment, en réduisant son rôle et ses responsabilités dans la société. Ce principe étant d’ailleurs davantage un enjeu de créativité que l’inverse.

Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la publicité en cause ne respecte pas les dispositions de l’article 2 de la Recommandation « Image de la personne humaine » de l’ARPP.

Le Jury relève par ailleurs que les plaintes ne permettent pas de constater que l’hebdomadaire aurait publié la publicité en cause, l’article paru le 7 janvier 2014 sur le site relevant de son activité éditoriale.

Il n’est, de plus, pas non plus établi que la société d’affichage aurait diffusé cette publicité.

4.La décision du Jury

– Les plaintes sont fondées ;

– La publicité en cause n’est pas conforme aux dispositions des articles 2/1 et 2/3 de la Recommandation « Image de la personne humaine» ;

– Il est demandé au Directeur général de l’ARRPP de prendre toutes mesures utiles pour que cette publicité ne soit pas renouvelée ;

– La présente décision sera communiquée au Haut Conseil à l’Egalité, aux plaignants particuliers, ainsi qu’aux sociétés annonceur et supports;

– Elle sera diffusée sur le site Internet du JDP.

Délibéré le vendredi 14 mars 2014 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, MM. Carlo et Leers.