Avis JDP n°448/16 – APPAREILS DE GAZEIFACTION DE BOISSONS – Plainte fondée

Avis publié le 17 mai 2017
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu les représentantes de la Fédération Nationale des Eaux Conditionnées et Embouteillées, présentes à la séance,
  • et, après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 1er décembre 2016, d’une plainte émanant la Fédération nationale des eaux conditionnées et embouteillées (la FNECE), afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une vidéo publicitaire en faveur d’une marque d’appareil de gazéification d’eau, sur internet.

Le film publicitaire en cause, intitulé « Shame or glory » présente dans une mise en scène parodiant la série télévisée “Games of Thrones”, un individu achetant des packs d’eau pétillante au supermarché, puis se faisant insulter pendant son trajet par une foule agressive et inquiétante. Arrivé à destination, le porteur d’eau dépose les bouteilles devant un acteur qui incarne l’un des personnages de la série lequel, de façon humiliante, lui fait la leçon sur le caractère néfaste pour l’environnement des bouteilles en plastique et se sert un verre d’eau pétillante au moyen de l’appareil de la marque.

2. Les arguments échangés

– La Fédération nationale des eaux conditionnées et embouteillées (FNECE), plaignante, considère que ce film dénigre de façon très violente les eaux embouteillées et leurs consommateurs en les présentant comme des assassins de la planète, tout cela dans un climat d’insultes, de violence, de honte et de culpabilité. En outre, cette vidéo discrédite de façon violente le secteur des eaux embouteillées et leurs consommateurs du fait des prétendus dommages environnementaux liés aux bouteilles en plastique alors que cet emballage est intégralement recyclable.

Elle indique que les 2,24 premières minutes du film sont consacrées à présenter un acheteur de deux packs d’eau pétillante embouteillée s’enfonçant dans un climat croissant d’insultes, de jets d’ordure et de violence et pour finir, de honte et de culpabilité face à l’affirmation de Hafthór Júlíus Jjörnsson (« The Mountain » alias « La Montagne » dans la série mondialement connue Games of Thrones) selon laquelle ceux qui achètent de l’eau embouteillée sont des pollueurs qui détruisent la « mère planète » et ses « merveilleuses créations » (les « oiseaux », l’« océan »…).

Le discours du héros (The Mountain) se termine par un plan qui le montre en train de se servir un verre d’eau pétillante sortant de l’appareil en déclarant « … fuck plastic bottles ! », avant de conclure, à la fin de la vidéo, « Holy mother Earth ».

Avant cette conclusion, l’ambiance de ce film est inquiétante et oppressante et assimile ainsi le produit au bien et les eaux embouteillées au mal.

Selon la FNECE, l’objet de cette vidéo, tout comme de la page d’accueil animée des sites de Sodastream, qui opposent l’ « enfer des déchets plastiques » au « paradis (marque) », est donc uniquement de diaboliser et discréditer l’eau pétillante en bouteilles.

La fédération précise que près de 100% des eaux minérales naturelles et de source vendues aux consommateurs sont conditionnées dans des bouteilles en PET (polyéthylène téréphtalate), un polymère neutre et 100% recyclable, matériau plastique le plus recyclé au monde.

La fédération plaignante considère qu’au regard des principes élémentaires contenus dans le code de la Chambre de Commerce Internationale, la communication commerciale en cause constitue une violation des principes de concurrence loyale et de responsabilité sociale, puisque, au-delà de la simple promotion d’un produit de la marque, son objet est de diffuser un message violent et culpabilisant qui repose, notamment, non seulement sur le discrédit des eaux embouteillées et de ce secteur industriel, mais aussi et surtout, sur le dénigrement des consommateurs d’eaux embouteillées présentés comme des pollueurs responsables de la destruction de leur « mère planète».

Au regard du point 3, relatif à la loyauté, du code de la Chambre de Commerce Internationale, la FNECE dénonce également le caractère manichéen et dénué d’objectivité de cette vidéo qui repose sur des critiques environnementales catégoriques, au demeurant fausses s’agissant d’emballages recyclables à 100% et dont le matériau est de plus imposé aux producteurs d’eaux minérales naturelles et de source par la réglementation relative à leur sécurité alimentaire et à la conservation de leurs propriétés. Ce procédé exploite, selon elle, le manque de connaissances des consommateurs en les convaincant que les acheteurs et consommateurs d’eaux embouteillées sont responsables de la destruction de leur « mère planète ».

Au regard du point 5, relatif à la véracité, du code de la Chambre de Commerce Internationale, la FNECE indique que les omissions et exagérations de cette vidéo parviennent habilement à véhiculer la certitude qu’un acte anodin comme l’achat d’un pack de bouteilles d’eau pétillante est responsable de graves atteintes environnementales. Cette démonstration omet sciemment de rappeler que l’eau pétillante embouteillée est un produit dont les caractéristiques ne sont pas identiques à celles de l’eau du robinet et que le conditionnement de ces denrées alimentaires qui, en plus d’être un conditionnement nécessaire et régi par les textes qui garantit les qualités spécifiques des eaux minérales naturelles et de source, est recyclable à 100 %.

Au regard du point 12, relatif au dénigrement, du code de la Chambre de Commerce Internationale, la fédération plaignante indique que la campagne diffusée prétend dénoncer les dommages environnementaux qui seraient dus non seulement aux eaux embouteillées et à leurs producteurs mais aussi avant tout, à leurs consommateurs que la vidéo présente comme des individus « irresponsables ». En effet, au-delà du dénigrement des eaux embouteillées et de l’activité de leurs producteurs, accusés de détruire la planète et de faire « pleurer les dauphins », les consommateurs d’eaux embouteillées sont ainsi impérieusement invités à mettre fin à cette consommation, et les non-consommateurs sont inéluctablement conduits à mépriser ceux qui oseraient continuer à acheter de l’eau embouteillée.

Il s’agit donc, selon elle, d’une communication bâtie uniquement sur le discrédit d’une catégorie de produits concurrents.

– L’entité française de la société a été informée de la plainte, dont copie lui a été transmise, et des dispositions dont la violation est invoquée, par courrier recommandé avec avis de réception du 6 janvier 2017.

Elle précise que la campagne vidéo « Shame and Glory » a été conçue, réalisée et diffusée à la seule initiative de la société internationale.

Elle oppose que cette vidéo publicitaire s’inscrivait exclusivement dans un esprit de parodie de la série « Game of Thrones » et ne saurait, en aucune façon, prétendre informer les consommateurs sur les qualités ou propriétés des eaux gazeuses en bouteilles.

Elle ajoute que dans un esprit d’apaisement, elle a décidé, dès le 28 novembre 2016, de ne plus rendre cette vidéo visible sur les sites qu’elle gère en tant que société de droit français.

Or elle fait observer que la plainte porte sur les sites www.shameglory.net et heavybubbles.com, qui ne sont pas des médias français, et que la diffusion de cette vidéo par ces sites ne saurait être considérée comme relevant de sa responsabilité.

La société a, en outre, transmis au Jury une correspondance de son avocat adressé à la FNECE, par laquelle il fait valoir le caractère parodique du film qui ne prétend en aucune façon informer les consommateurs. Il souligne par ailleurs le ton humoristique et caricatural de la campagne qui, selon lui, exclut la qualification de dénigrement.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle qu’il résulte des dispositions déontologiques, notamment celles contenues dans le code de la Chambre de Commerce Internationale relatives à la publicité loyale et véridique que :

« Article 3 – Loyauté

La communication commerciale doit être conçue de manière à ne pas abuser de la confiance des consommateurs ou à ne pas exploiter le manque d’expérience ou de connaissance des consommateurs.

Tout facteur pertinent susceptible d’influencer la décision des consommateurs doit être signalé d’une manière et à un moment qui permettent aux consommateurs de le prendre en considération. »

L’article 5 de ce même code dispose que :

« Véracité – La communication commerciale doit être véridique et ne peut être trompeuse.

La communication commerciale ne doit contenir aucune affirmation, aucune assertion ou aucun traitement audio ou visuel qui soit de nature, directement ou indirectement, par voie d’omissions, d’ambiguïtés ou d’exagérations, à induire en erreur le consommateur, notamment, mais pas exclusivement, en ce qui concerne : des caractéristiques du produit qui sont essentielles, ou en d’autres termes, de nature à influencer le choix du consommateur, telles que la nature, la composition, la méthode et la date de fabrication, le domaine d’utilisation, l’efficacité et les performances, la quantité, l’origine commerciale ou géographique, ou l’impact sur l’environnement ;….»

Enfin, à l’article 12 il est prévu que : « La communication de marketing doit être conçue de manière à ne pas abuser de la confiance des consommateurs ou à ne pas exploiter le manque

d’expérience ou de connaissance des consommateurs » et qu’ « elle ne doit pas dénigrer une quelconque personne ou catégorie de personnes, une entreprise, une organisation, une activité industrielle ou commerciale, une profession ou un produit ou tenter de lui attirer le mépris ou le ridicule public ».

Le Jury observe que le message publicitaire critiqué donne à voir, dans une mise en scène parodique de la série à succès « Game of thrones », un personnage achetant des bouteilles d’eau pétillante, poursuivi par une femme en tenue médiévale agitant une cloche derrière lui et le haranguant de l’interjection « shame ». À la sortie du supermarché, il traverse une ville moyenâgeuse, où il est l’objet de jets d’épluchures et de diverses manifestations d’hostilité, dans un climat agressif et inquiétant. Au terme de son trajet, le porteur de bouteilles les offre à un acteur incarnant l’un des personnages héros de la série, qui lui fait la leçon sur le caractère néfaste pour la planète, baptisée « Holy mother earth », de l’eau conditionnée en bouteille de plastique et conclut « Fuck plastic bottles », tout en se servant un verre d’eau à partir de l’appareil de gazéification d’eau de la marque.

Le film joue sur un glissement de la réalité à une ambiance de cauchemar qui se révèle n’être que le lieu du tournage de la série. Le porteur d’eau manifeste une angoisse croissante face à l’hostilité dont il est l’objet.

Sur la recevabilité de la plainte

Le Jury rappelle qu’aux termes de l’article 3 de son règlement intérieur, il peut être saisi de plaintes portant sur des publicités diffusées sur le territoire français.

Bien que la fédération professionnelle plaignante ait indiqué dans sa plainte que le film qu’elle dénonce a été vu sur deux sites web de langue anglaise, la lettre adressée par la société exploitante de la marque, permet de constater qu’au moment où la plainte a été adressée au Jury, le film était diffusé sur des sites de sa filiale française, sites dirigés vers les consommateurs français. Si le film a ensuite été retiré de ces sites, il n’en demeure pas moins qu’il a été diffusé en France et que dans ces conditions la plainte est recevable.

Sur les manquements dénoncés par la plainte

Le Jury rappelle que ses avis n’ont pas de nature juridictionnelle et qu’ils sont rendus au regard des règles de déontologie dont la profession publicitaire a choisi de se doter, ainsi que des dispositions du code de la Chambre Internationale de commerce (le code ICC) que cette profession a fait siennes.

Pendant la quasi-totalité de sa durée le film en cause montre l’opprobre qui entoure le personnage acheteur d’eau pétillante en bouteille plastique. Il diffuse, afin de faire valoir les avantages de l’appareil de gazéification de la marque, le message de l’effet néfaste pour la nature de ce mode de consommation et de la honte que devraient ressentir les personnes qui l’utilisent plutôt que de recourir à l’appareil de gazéification promu.

La société annonceur ne conteste pas que les bouteilles de plastique ainsi dénoncées sont intégralement recyclables comme le soutient la FNECE. Le sujet de leur impact sur l’environnement est donc plus complexe et plus nuancé que ce que conduit à penser le film publicitaire en cause. De plus, le champ lexical et le discours moral utilisé dans les dialogues induisent que ce mode de consommation est condamnable et que les personnes qui en usent le sont tout autant.

Ce film jette ainsi le discrédit sur un produit par des allégations susceptibles d’induire le consommateur en erreur, quand bien même cette présentation puisse-t-elle, par son mode parodique, être prise avec une certaine distance. Dans ces conditions, la publicité en cause procède à un dénigrement du produit visé et constitue, de ce fait, un mode de communication déloyal au regard des préconisations déontologiques des articles précités.

Compte tenu de ces éléments, le Jury est d’avis que la publicité en cause n’est pas conforme aux dispositions combinées des articles 3, 5 et 12 du code de la Chambre de commerce internationale (code ICC) précités.

Il prend acte du retrait dans des délais rapides de la publicité en cause.

Cet avis sera publié sur le site Internet du JDP.

Avis adopté le vendredi 3 février 2017 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, Mmes Moggio et Drecq, MM. Benhaïm, Carlo, Depincé, Lacan et Leers.