Avis JDP n° 433/16 – MATERIEL DE BRICOLAGE – Plaintes fondées

Avis publié le 8 novembre 2016
Plaintes fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations et à prendre part à la séance,
  • après avoir entendu la représentante de l’association plaignante « Les Chiennes de garde » et le conseil de la société annonceur,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. Les plaintes

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, les 19 et 25 août 2016, de deux plaintes de particuliers, puis le 23 août, d’une plainte de l’association « Les Chiennes de garde », afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité diffusée sur Internet, en faveur d’une société faisant la promotion de son site internet de location d’outils entre particuliers.

Cette publicité présente l’image de trois femmes, vêtues de tenues de sport, dansant autour d’étais qu’elles utilisent comme des barres de pole-dance, devant un homme vêtu d’un costume qui les regarde, assis sur une chaise.

Le texte accompagnant cette image est: « Rien de mieux à faire de vos outils ? Louer, vendre, acheter ».

2. La procédure

L’annonceur a, par courrier recommandé avec avis de réception du 14 septembre 2016, été informé des plaintes, dont copies lui ont été transmises, et des dispositions dont la violation est invoquée.

Il a été également informé que cette affaire ferait l’objet d’un examen dans le cadre de la procédure simplifiée prévue à l’article 12 du règlement intérieur du Jury.

Le représentant de l’annonceur a souhaité être entendu par le Jury.

3. Les arguments échangés

– Les plaignants estiment que cette publicité est contraire à la Recommandation « Image de la personne humaine » de l’ARPP, car elle utilise le corps des femmes comme faire valoir et les présente comme des objets sexuels, par l’utilisation d’étais comme barres de pole-dance. Il s’agit d’une mise en situation dégradante des femmes assimilées à des marchandises.

– La société annonceur explique que le site en cause est un site collaboratif de location, achat et revente d’outils ou de matériels, dont elle a souhaité assurer la promotion à travers plusieurs petits films courts qui présentent ces objets de façon détournée (par exemple une perceuse maniée comme une guitare). La publicité en cause est décalée puisque les étais sont utilisés, de façon humoristique, comme des barres de pole-dance. Son scenario est le suivant : un homme rentre chez lui mais une fois le seuil franchi, il trouve un étai abandonné puis, voulant rejoindre sa femme ou sa compagne dans le salon, il y découvre trois femmes en tenues sportives qui font des exercices de pole-dance, mais sur des étais de béton vendus par l’annonceur : l’homme les regarde alors d’un air naïf voire benêt. La publicité se termine avec le slogan « Rien de mieux à faire de vos outils ? » puis « Louer, vendre, acheter » faisant la promotion de la plateforme collaborative de la société.

Le représentant de l’annonceur fait valoir que les critiques formulées par les plaintes sont infondées. Il ne peut être allégué, sans mauvaise foi, que les femmes sont présentées comme un objet sexuel dans la publicité litigieuse, laquelle se borne à démontrer avec ironie le détournement de l’utilisation des étais de béton, dont l’objet initial est d’être du matériel de bricolage mais qui sont utilisés comme matériel de sport. A ce titre, la phrase « Rien de mieux à faire de vos outils ? » est l’illustration évidente que le propos de la publicité n’est pas de mettre en scène des femmes considérées comme des objets sexuels mais porte uniquement sur l’utilisation détournée du matériel de bricolage.

La société ajoute que les critiques selon lesquelles le pole-dance véhiculerait une image de prostitution ou, du moins, comporterait un caractère sexuel et conduirait à ce que la publicité soit non conforme aux dispositions de la recommandation sont également infondées. Elles témoignent, notamment, d’une vision tant tronquée qu’archaïque du pole-dance, qui, s’il a été historiquement associé au milieu du cirque, puis du striptease à partir des années 50, a été sorti dès les années 90 de son « environnement érotique ». Ainsi, le pole-dance est aujourd’hui une discipline sportive, rattachée à la Fédération Française de Danse, qui fait l’objet de compétitions nationales et internationales. D’ailleurs, lors de ces compétitions, toute forme de nudité est interdite afin d’insister sur la dimension sportive de cette activité. Le pole-dance a donc perdu le caractère érotique voire sexuel qui lui était associé. Cela est d’ailleurs illustré par l’utilisation de plus en plus fréquente du thème du pole-dance par la publicité. En effet, de nombreuses publicités mettent en scène du pole-dance avec ironie ou pratiqué par des hommes.

Les termes de la plainte dont il résulte une association du pole-dance à la prostitution ainsi qu’à la sexualité, témoignent, selon l’annonceur, d’une vision en rupture avec la réalité de ce qu’il est devenu aujourd’hui.

L’annonceur ajoute qu’en l’espèce, il est évident que la publicité litigieuse met l’accent sur le caractère sportif de l’activité de pole-dance et non sur sa dimension sexy et glamour, associée au striptease : les trois femmes sont en tenues sportives ou de danse (tee-shirt et minishorts), l’une d’elle compte les mouvements (« 1, 2, 3, 4 ») illustrant le fait que les trois femmes se livrent à une activité sportive.

L’annonceur expose, par ailleurs, son engagement sur les problématiques liées à l’égalité hommes-femmes et à la parité, avec notamment la création dans l’entreprise de commissions pour l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, issues de différents accords sur l’égalité professionnelle.

4. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image de la personne humaine » de l’ARPP dispose en son point 2 que :

« 2.1 La publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet ».

Le Jury relève que la publicité en cause met en scène un homme rentrant chez lui et trouvant dans son salon en travaux, où des étais en béton sont demeurés en place, trois femmes en mini shorts faisant du pole-dance autour de ces poteaux improvisés – spectacle face auquel il s’assied pour mieux le contempler, d’un air appréciatif. La publicité se termine avec le slogan « Rien de mieux à faire de vos outils ? » avant de faire la promotion, sous le slogan « Louer, vendre, acheter », de la plateforme collaborative de la société annonceur.

Cette présentation s’intègre, selon les explications données par l’annonceur, dans une « saga » de plusieurs films courts montrant un usage détourné et ironique d’outils de bricolage. Pour ce faire, le film en cause joue volontairement sur l’univers sexy du pole-dance et utilise les femmes vêtues de mini-shorts qui se déhanchent et accomplissent un saut autour de la barre.

Si, ainsi que l’a expliqué l’annonceur lors de la séance, l’activité du Pole-dance a pu devenir une activité exclusivement sportive, il n’en demeure pas moins qu’elle garde, du fait de son origine, une connotation érotique dans l’imaginaire collectif. Cette dimension n’apparaît pas totalement absente de la mise en scène en cause, ainsi que le suggère, l’habillement des danseuses et la présence du personnage masculin devenant spectateur ravi du spectacle. Par ailleurs, la publicité en cause présente les femmes dans des tenues de danseuses comme faire-valoir pour promouvoir un site de location et de revente d’outils et de matériels de bricolage lequel est donc dépourvu de lien avec le corps. De cette façon, elle utilise et réduit les femmes à une fonction d’objet de promotion.

Ni le ton humoristique et absurde de la mise en scène, ni l’engagement de l’annonceur dans les problématiques d’égalité homme-femme ne sont de nature à modifier le constat qui précède.

En conséquence, le Jury est d’avis que la publicité en cause n’est pas conforme au point 2.1 de la Recommandation précitée.

Avis adopté le vendredi 7 octobre 2016 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, Mme Lieber, Vice-Présidente, Mmes Drecq et Moggio, MM. Benhaïm, Depincé et Leers.