Avis JDP n°461/17 – JEUX D’ARGENT – Plaintes fondées

Avis publié le 6 juillet 2017
Plaintes fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu les représentants de l’annonceur et de l’agence de communication,
  • et, après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, les 9 et 12 avril 2017, de deux plaintes émanant de particuliers, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une vidéo publicitaire diffusée par l’annonceur, en faveur de son jeu « Escape game loto ».

Le film publicitaire en cause met en scène un personnage dont on ne voit que les mains, parcourant un appartement en désordre, ouvrant un réfrigérateur ou des placards dans lesquels se trouvent peu de provisions et tenant une enveloppe comportant la mention « Impayé », qu’il jette sur un tas d’autres documents.

Les textes apparaissant en incrustation à l’écran sont « Enfermé dans vos emmerdes ? », « Il y a un moyen pour vous échapper », « Trouver les 6 bons numéros ».

La signature finale est « Unlock your life », traduite par « Sortez de votre routine », accompagnée des mentions : « L’escape game loto » – « Inscrivez-vous sur Messenger » et « Voir règlement sur la page Facebook … ».

2. Les arguments échangés

– Les plaignants expliquent qu’une telle présentation, qui joue sur la situation de grande précarité du protagoniste pour suggérer que le jeu est une façon de s’en sortir, est en contradiction avec les règles de déontologie de l’ARPP, en particulier la Recommandation « Jeux d’Argent » en ses points 1.2.e, 1.4.g et 1.4.i.

Sur le point « 1.2.e Exploiter des sentiments de peur ou de souffrance », l’un des plaignants expose que le personnage apparaît en situation de précarité, accentuée par une mise en scène réaliste cumulant un grand nombre de clichés auxquels de nombreuses personnes peuvent malheureusement s’identifier : réveil difficile, appartement mal rangé, réfrigérateur vide, placard rempli de pâtes et accumulation de factures impayées. En créant simultanément un sentiment d’identification et de précarité, cette publicité entend, selon lui, jouer sur la peur du déclassement pour proposer aux joueurs de s’en sortir en leur indiquant qu’ « il y a un moyen de vous échapper ».

Sur le point 1.4.g « Suggérer que le jeu est une façon de régler des difficultés financières, passagèrement ou durablement », ce plaignant estime que les difficultés financières du personnage sont le pilier de cette publicité, laquelle propose explicitement et ostensiblement de trouver une échappatoire à des difficultés financières via le jeu. “Enfermé dans vos emmerdes ?”, “Il y a un moyen de vous échapper”, “Trouver les 6 numéros” sont des messages sans équivoque, qui désignent le jeu d’argent comme un moyen de régler des difficultés financières, à tout le moins passagèrement.

Sur le point 1.4.i « Présenter le jeu comme une activité permettant de gagner sa vie plutôt que comme un divertissement », il ajoute que cette publicité ne prend aucun recul sur l’aspect divertissant que pourrait revêtir le jeu, mais se focalise uniquement sur le fait qu’un gain monétaire pourrait aider à supporter les conséquences de difficultés financières. Le fait de choisir des numéros n’est pas présenté comme un divertissement mais comme “un moyen de vous échapper” en réussissant à gagner sa vie.

– La société annonceur a été informée de la plainte, dont copie lui a été transmise, et des dispositions dont la violation est invoquée, par courrier recommandé avec avis de réception du 2 mai 2017.

Elle indique avoir lancé, en mars dernier, une campagne publicitaire nationale afin de communiquer sur la nouvelle formule du jeu du Loto. Afin de moderniser son image et de se rapprocher d’une cible plus jeune (les 18/30 ans), une opération promotionnelle – médiatisée uniquement auprès de cette cible sur les canaux digitaux – a été organisée au cours du mois d’avril 2017.

Ce jeu promotionnel, dénommé « Unlock Your Life – L’Escape Game Loto », s’inspirait du concept de « l’Escape Game », jeu de rôle scénarisé connaissant actuellement un très grand succès auprès de cette tranche d’âge cible. Le principe est simple : une équipe de 4 personnes est enfermée dans une salle et doit résoudre dans un temps limité des énigmes successives pour en sortir.

Ainsi, comme le montre la vidéo en cause réalisée pour promouvoir en mode « teasing » cette opération, les participants à l’opération « Unlock Your Life — l’Escape Game Loto » se retrouvaient plongés dans le quotidien d’une colocation d’étudiants : un studio, des boîtes de pizzas qui s’accumulent, du linge à laver, mais aussi les petits « tracas » que chaque étudiant connaît ou a connu : les factures à payer, les ampoules à changer, les fuites d’eau à réparer…

Le principe de ce jeu consistait pour les participants à s’échapper de ce studio en résolvant ces petits ennuis. A chaque problème résolu, un numéro Loto était révélé et progressivement le quotidien des participants s’améliorait (le studio devenait un 2 pièces, nouveaux matériels Hi-Tech, etc.). Les participants ayant reconstitué une combinaison Loto de 6 numéros dans le délai imparti participaient automatiquement à un tirage au sort leur permettant de remporter chacun 6 mois de loyer (soit 4500€ par gagnant).

Selon l’annonceur, un contresens a été fait par les personnes plaignantes : la vidéo visée, qui reprenait les codes des vidéos « real life » diffusées sur You Tube, avait pour objectif de promouvoir cette opération promotionnelle en mettant en scène de manière humoristique un appartement d’étudiant « classique », et l’ensemble des clichés de la vie étudiante : les factures que l’on oublie de payer, l’étudiant qui dort dans la baignoire après une soirée, les pâtes et le frigo vide parce qu’on n’a pas fait les courses, etc.

L’annonceur fait valoir que, contrairement à ce qui est reproché, l’objectif n’était donc pas de présenter le jeu d’argent comme permettant de sortir de ses difficultés financières ou de

gagner sa vie. A cet égard, il est important de souligner qu’aucune référence au jeu d’argent en lui-même, ni à sa pratique, n’est faite dans la vidéo, ni même dans le cadre de la participation à l’opération. Cette vidéo fait exclusivement la promotion d’un jeu promotionnel gratuit (une loterie publicitaire) capitalisant sur le thème de la campagne publicitaire, à savoir mettre un peu de chance dans sa vie pour améliorer son quotidien, et non la promotion d’un jeu d’argent.

Ainsi, le second critère cumulatif d’application de la Recommandation « Jeux d’argent » n’est pas rempli et de ce fait, la Recommandation n’est pas applicable.

L’annonceur affirme qu’il n’y aura pas de nouvelle diffusion de cette vidéo, le jeu promotionnel étant terminé.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle qu’il résulte des dispositions déontologiques, notamment celles contenues dans la Recommandation « Jeux d’argent » de l’ARPP, que :

« 1.2 Les valeurs sociales

Toute communication commerciale doit être conçue avec un juste sens de la responsabilité sociale et professionnelle” Art.1 du Code de la Chambre de Commerce Internationale relatif à la publicité.

Ainsi, la publicité pour les jeux d’argent ne doit pas, de quelque manière que ce soit :

a/ porter atteinte à la dignité humaine ;

b/ dévaloriser l’effort, le travail, les études, par rapport au jeu ;

(…) e/ exploiter des sentiments de peur ou de souffrance (…) »

« 1.4 Jeu responsable

La publicité des jeux d’argent ne doit pas valoriser, banaliser ou inciter à une pratique du jeu excessive, immodérée, susceptible de mettre le joueur en péril financier, social ou psychologique.

A cet effet, la publicité des jeux d’argent ne doit pas, de quelque manière que ce soit :

(…)

f/ présenter le jeu comme un moyen de recouvrer des pertes au jeu ; g/ suggérer que le jeu est une façon de régler des difficultés financières, passagèrement ou durablement ;

h/ présenter le jeu comme une échappatoire face à des difficultés personnelles, professionnelles ou psychologiques ;

i/ présenter le jeu comme une activité permettant de gagner sa vie plutôt que comme un divertissement (…) »

Le Jury observe que le message publicitaire critiqué, s’il ne fait pas la promotion directement d’un jeu d’argent (avec mise d’argent au départ), puisqu’il s’agit d’un « teaser » pour inciter le public cible à participer à un « escape game » gratuit, vise néanmoins à mieux faire connaître le Loto à une population plus jeune (18-30 ans). Le film publicitaire en cause entre donc dans le champ des dispositions précitées de la Recommandation « Jeux d’argent » de l’ARPP.

Le Jury relève par ailleurs que si la situation choisie est celle, non pas d’une personne en situation de précarité, mais d’une colocation étudiante, la mise en scène (lit défait, placards quasiment vides, personnage la tête dans les mains, accumulation de factures impayées) peut introduire une confusion dans l’esprit du public, entretenue par les slogans tels que « Enfermé dans vos emmerdes ? ».

Si les codes de l’ « escape game » classique (enfermement dans une seule pièce, énigmes à résoudre sous la forme de numéros à trouver…) sont présents, la publicité repose sur le parallèle entre l’enfermement dans une pièce dont il faut sortir – principe même de l’« escape game » – et le fait de pouvoir se sortir d’une situation délicate grâce au jeu du Loto. Par ailleurs, le choix d’une situation réaliste pour présenter le jeu contribue à renforcer le processus d’identification entre le public et le personnage du film. L’allusion aux difficultés financière est tangible, puisqu’un plan s’attarde sur une facture impayée que le personnage tient entre ses mains avant de la jeter sur un tas d’autres documents.

Le Jury estime donc que cette publicité, construite autour de l’idée que l’on peut sortir d’une situation financière difficile par le jeu, et dont l’objectif, en promouvant « l’escape game loto », est de mieux faire connaître le Loto aux jeunes, présente le jeu comme une échappatoire et comme un moyen de régler des difficultés financières.

Compte tenu de ces éléments, le Jury est d’avis que la publicité en cause contrevient aux dispositions des articles de la Recommandation « Jeux d’argent » de l’ARPP précitées.

Avis adopté le vendredi 2 juin 2017 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, Mme Sophie-Justine Lieber, Vice-Présidente, Mme Moggio, MM. Benhaïm, Depincé et Leers.