Avis JDP n°439/16 – NUTRITION SPORTIVE – Plaintes fondées

Avis publié le 03 janvier 2017
Plaintes fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu le représentant de la société annonceur et l’une des plaignantes,
  • et, après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. Les plaintes

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, les 10 et 14 octobre 2016, de deux plaintes émanant de particuliers, puis le 11 novembre 2016, de neuf autres plaintes de particuliers, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité diffusée sur différents réseaux sociaux pour un complément alimentaire.

Ce visuel montre le bas du corps d’une femme, se tenant de dos, debout les jambes écartées. Elle porte des chaussures à talons hauts et une culotte en dentelle, qu’elle s’apprête à retirer, dévoilant ainsi le haut de ses fesses. Le texte accompagnant cette image est : « Et toi, as-tu la chance de te taper une bonne française ?… ». Au bas de l’ensemble du visuel, on peut lire « On s’excuse auprès des féministes pour cette publicité. Mais bon… On s’est dit qu’on allait la publier quand même. Alors, s’il vous plait, prenez-le pour un compliment ! ».

2. Les arguments échangés

– Les plaignants énoncent que cette publicité est sexiste, insultante et dégradante pour les femmes et porte atteinte à la dignité des femmes.

Une plaignante indique que cette publicité utilise, pour vendre le produit, le corps et les attributs de la femme comme objet sexuel et entretient la culture du viol. Elle indique se sentir insultée et diminuée par le propos en tant que femme sportive et exclue du monde de la performance.

Un autre plaignant énonce que les propos employés sont choquants, humiliants et réduisent la femme a un objet. De surcroît, cette publicité est dégradante pour le sexe féminin.

Pour un autre, cette publicité est raciste car elle induit que les femmes qui ne seraient pas blanches et de nationalité française ne pourraient être désirables.

Une autre plaignante fait valoir que cette publicité outrepasse les règles de la Recommandation « Image et respect de la personne ».

Elle expose que la mise en scène explicite du physique de cette femme la réduit consciemment à n’être qu’une paire de fesses que le public « a la chance de se taper ». Cette présentation utilise le sexe de la femme comme un objet de valorisation et de promotion, alors qu’il s’agit d’une publicité pour vendre de la protéine en poudre.

Elle véhicule en outre une vision du sexe très nuisible aux femmes comme aux hommes, et à la qualité des relations hommes/femmes, en assimilant les femmes à des objets de plaisir, ce qui laisse entendre qu’elles sont à disposition, précisément d’un point de vue sexuel. Cette publicité est dégradante aussi pour les hommes car elle véhicule et valorise l’idée que pour être viril, il est de bon ton de ne pas considérer les femmes comme des êtres humains : valoriser ces comportements chez les hommes, c’est de l’appel au viol.

Ensuite, la « demi-femme » présentée n’a ni visage, ni personnalité, ni identité autre que celle d’être française, ce qui lui offre visiblement une supériorité notoire et ce qui doit susciter l’approbation de la gent masculine. La plaignante évoque un article d’un magazine de décembre 2016, dans lequel le chef d’entreprise de la marque, interrogé au sujet de cette publicité, a indiqué que cette publicité vante la supériorité de la qualité des produits français sur les compléments alimentaires étrangers. Or, selon elle, cette publicité revendique la supériorité du produit vanté par une allusion très claire à l’établissement d’une hiérarchie chez les femmes en fonction de leur nationalité.

Enfin, imaginer, en référence au pied de page, que tous les féministes sont des femmes est un point de vue complètement arriéré.

– L’annonceur a été informé par courrier recommandé avec avis de réception du 28 octobre 2016 des deux premières plaintes, puis par courrier électronique, des neuf autres plaintes, dont copies lui ont été transmises, et des dispositions dont la violation est invoquée.

Son représentant indique qu’il s’agit d’une publicité pour un complément alimentaire : une protéine de lactosérum en poudre d’origine française, destinée à la nutrition sportive et plus particulièrement la musculation pratiquée par un public masculin. Il précise que cette publicité a été postée sur Facebook, Instagram et est en bannière publicitaire sur un site d’information sur la musculation.

Il explique qu’il a juste détourné une expression populaire à des fins publicitaires en insistant sur la provenance française de la marque et sur le fait que cette protéine soit bonne au goût – la provenance et le goût étant les principales questions posées par les consommateurs de ce type de produit.

Selon l’annonceur, l’objectif était de faire une campagne au ton humoristique et décalé, fonctionnant au second degré. Le sous-entendu est certes osé, mais il n’est pas offensant car sous-entendre qu’une femme est « bonne » n’est peut être pas très élégant, mais pas insultant non plus. D’autant que dans notre société les femmes, égales aux hommes, ne se privent pas d’utiliser l’homme-objet quand elles le souhaitent – et pour autant, des associations “masculinistes” n’envoient pas de plaintes pour apologie de l’homme-objet. Le fait que les femmes utilisent à leur tour l’homme objet, à partir du moment où cela reste humoristique et décalé, montre que notre démocratie fonctionne.

L’annonceur affirme que, dans une société où la femme est l’égal (sic) de l’homme, il est possible d’utiliser des expressions courantes populaires en les détournant de façon humoristique et décalée sans que, à partir du moment où il n’y a pas d’insulte, ni de message de haine, ni d’appel à la violence, cela soit considéré comme dégradant. L’égalité des sexes

permet ce genre d’humour caustique dans les deux sens.

Pour répondre aux commentaires mentionnés par les plaintes :

Sur l’”énième utilisation du corps et des attributs des femmes”, c’est banal et c’est un axe de communication comme un autre.

Sur la phrase “…cela entretien la culture du viol”, l’annonceur se dit à son tour choqué de lire cet argument. Attribuer cet effet à la publicité en question est insultant pour les hommes.

Selon lui, si la sexualité et les expressions populaires deviennent taboues, cela voudrait dire que notre société dérive vers un communautarisme idéologique qui va à l’encontre de la démocratie et de la notion de vivre ensemble.

Sur la phrase “… femme objet, choquant et humiliant », l’annonceur expose que les femmes d’aujourd’hui ont le droit d’être sexy et de disposer de leur corps comme bon leur semble. Ce sont les premières à le revendiquer et le nier est faire preuve d’hypocrisie.

L’annonceur ajoute encore que sur le visuel publicitaire la femme est en situation sexy, mais est représentée seule, et est maître (sic) de la situation. Elle n’est pas soumise à un homme et c’est elle qui décide.

Il précise toutefois que, par mesure de précaution et dans le désir de ne pas choquer le public si cela a été le cas, il a retiré le visuel de tous ses supports.

La société informe également avoir envoyé au magazine et à l’association Les Chiennes de garde un message par lequel elle explique sa démarche initiale et fait part de ses excuses. Elle s’engage de plus à ne plus utiliser de visuels de communication où la femme a une posture d’objet, en relation avec un humour inapproprié.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP dispose en son point 2 que :

« 2.1 La publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet ».

2-3 La publicité ne peut valoriser, même indirectement, des sentiments ou des comportements d’exclusion, d’intolérance, de sexisme ».

Le Jury relève que la publicité en cause montre une femme de dos, à partir des hanches, debout les jambes écartées. Elle porte des chaussures à talons hauts et une culotte en dentelle, qu’elle s’apprête à retirer, dévoilant ainsi le haut de ses fesses. Entre ses jambes figure le texte suivant : « Et toi, as-tu la chance de te taper une bonne française ? » Une mention en bas de page ajoute : « On s’excuse auprès des féministes pour cette publicité. Mais bon… On s’est dit qu’on allait la publier quand même. Alors, s’il vous plait, prenez-le pour un compliment ! ».

Cette présentation d’une femme dans une position érotique, accompagnée du slogan « Et toi, as-tu la chance de te taper une bonne française ? » réduit expressément la femme à un objet sexuel, et utilise de surcroît le corps des femmes comme faire valoir commercial d’un produit qui n’a aucun rapport avec leur corps – peu importe, à cet égard, le fait que la femme soit apparemment maîtresse de la situation (ce dont le slogan peut d’ailleurs faire douter). Le renvoi à des « excuses » en bas de page, destiné à ridiculiser les réactions des « féministes », cautionne encore davantage une image sexiste et dégradée des femmes. L’allusion à la « bonne française », si elle se veut explicative de la provenance du produit, crée de plus une hiérarchie douteuse entre être humains selon leur nationalité.

Enfin le Jury observe que l’annonceur ne peut légitimer cette utilisation commerciale du corps des femmes comme n’étant que la manifestation d’une égalité des sexes qui serait acquise dans la société. En effet, un examen objectif de ce qui a été, et est, diffusé en publicité permet de constater que les hommes n’y sont pas présentés comme des objets sexuels, ce qui serait, d’ailleurs, tout autant, non conforme à la Recommandation. Par ailleurs, en s’engageant par cet énoncé de principes à respecter, de façon générale l’image de la personne, en particulier celle des femmes en publicité, les acteurs de la profession ont eux-mêmes proscrit des représentations telles que celle utilisée dans la publicité en cause.

En conséquence, le Jury est d’avis que la publicité en cause méconnaît les dispositions de la Recommandation « Image de la personne humaine » de l’ARPP.

Le Jury prend toutefois acte de ce que l’annonceur a retiré la publicité dès que les plaintes lui ont été communiquées

Le présent avis sera publié sur le site internet du Jury de Déontologie Publicitaire.

Avis adopté le 2 décembre 2016 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, Mme Sophie-Justine Lieber, Vice-Présidente, Mmes Drecq et Moggio et MM. Benhaïm, Carlo, Depincé et Leers.