Avis JDP n°323/14 – PRODUITS FINANCIERS – Plainte partiellement fondée

Avis publié le 28 juillet 2014
Plainte partiellement fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations et à prendre part à la séance,

– après avoir entendu les représentants de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) et de la société annonceur,

– et, après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1.La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi le 4 avril 2014, d’une plainte émanant de  l’Autorité des Marchés Financiers (AMF), afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur de plusieurs publicités en faveur de placements financiers dans le Forex, diffusées sur internet.

Ces publicités, qui se présente sous la forme de bannières ou de messages électroniques, utilisent notamment les termes :

« J’ai fait 2500 dollars le mois dernier ! »

« J’ai complété mes revenus de mon propre chef, à mon propre rythme et simplement »

« 1000 euros en 1 jour seulement ? »

2.La procédure

La société a été informée par courrier recommandé avec avis de réception du 13 mai 2014 de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Préalablement informée de la nécessité de faire appel aux services d’un traducteur dans l’hypothèse où ses représentants ne s’exprimeraient pas en français, la société, basée à Chypre, a indiqué, au début de la séance, ne pas avoir pu y recourir dans les délais dont elle disposait. Avec l’accord de l’AMF et de la société, les représentants de chacun d’eux se sont exprimés dans leur langue respective. L’annonceur a en outre remis au Jury et à l’AMF un texte de présentation rédigé en langue française. Les personnes intéressées ont indiqué avoir compris l’ensemble des échanges oraux.

3.Les arguments échangés

L’AMF énonce que ces publicités ne respectent pas la fiche de doctrine « Publicité des produits financiers – Publicité pour les produits financiers permettant de s’exposer sur le Forex, les indices boursiers, le cours des matières premières avec un effet de levier » sur plusieurs points :

En termes de transparence : elles n’indiquent pas l’autorité de régulation ayant autorisé la commercialisation des services en France. En outre, elles utilisent un nom commercial différent du nom de la société;

En termes de clarté, de loyauté et de véracité : elles laissent entendre indûment qu’il serait extrêmement facile de gagner de l’argent sans prendre de risque. L’utilisation de sommes en valeur absolue (et non d’un rendement) et de montants en dollars, ainsi que le caractère évasif des instruments financiers en cause contribuent à induire en erreur le consommateur. Les publicités donnent tour à tour le sentiment que le trading de « CFD » (« Contract for differences ») permettrait d’apporter un complément de revenu régulier ou constituerait un jeu d’argent. L’étape de formation, lorsqu’elle est mentionnée, n’est pas clairement présentée et rien ne permet de garantir qu’elle reflète fidèlement la réalité de l’utilisation du service ;

En termes d’équilibre : les publicités mettent essentiellement en avant les gains possibles, et n’évoquent les risques que par des mentions reproduites en très petits caractères, parfois à peine lisibles, et qui n’indiquent pas clairement que le client peut perdre davantage que la somme qu’il a investie. L’AMF indique que plusieurs banques ont recours à des bannières déroulantes qui permettent, en dépit de la taille réduite d’une bannière, d’y faire figurer l’ensemble des mentions nécessaires ;

En termes de promesse de résultat et de responsabilité sociale : ces publicités visent à donner au consommateur une confiance disproportionnée en lui laissant entendre que la simple lecture d’un guide lui permettra de devenir un trader professionnel.

La société annonceur fait valoir que les publicités mises en cause se présentent sous la forme de bannières, qui ne peuvent contenir qu’un nombre très limité d’informations. Toutes les bannières redirigent le client potentiel vers le site de la société, qui comporte l’ensemble des mentions légales et une explicitation des risques, et le formulaire d’inscription, qui lui permet d’être recontacté. Quand l’entreprise recontacte le client, elle lui fait part de toutes les options disponibles pour trader dans les « CFD ». Le client est donc tout à fait à même de déterminer si le trading et les risques qu’il comporte lui conviennent et de décider librement de s’inscrire.

Évoquant chacune des bannières en cause, la société estime qu’elles sont loyales et suffisamment claires quant aux risques et à la nécessité de se former sur les modalités du trading pour optimiser ses chances.

Répondant à un argument de l’AMF, la société précise que les termes et conditions de ses services sont disponibles en français, même si elles peuvent n’apparaître qu’en anglais lors des courtes phases de mise à jour du site Internet.

Concernant l’effet de levier, les pages du site fournissent toutes les informations requises et précisent que le maximum qu’un trader peut utiliser est de 400 pour 1, ce qui est une valeur classique sur le marché.

La société précise qu’elle relève de la commission d’échange et de sécurité chypriote, que tout client insatisfait peut saisir.

3.L’analyse du Jury

Sur le champ de la saisine

Le Jury indique à titre liminaire qu’il ne lui appartient pas de porter une appréciation générale sur la pratique publicitaire d’un annonceur, mais seulement d’apprécier la conformité aux règles déontologiques en vigueur de publicités clairement identifiées par les plaignants.

En l’occurrence, l’Avis du Jury ne portera que sur les publicités reproduites en pages 2, 6, 7 et 8 de la plainte de l’AMF, et non sur les autres documents qui y sont annexés, lesquels ne revêtent pas le caractère de publicités (reproduction des termes et conditions des services vendus, liste des supports utilisés par la société, extrait d’un forum de discussion, diverses données collectées par l’AMF sur Internet…) ou ne sont pas clairement visés par la plainte (extraits du site Internet de l’annonceur…).

Sur les règles applicables

Le Jury rappelle que la Fiche de doctrine « Publicité des produits financiers » de l’ARPP, en vigueur à la date de diffusion des publicités litigieuses, disposait que :

« 2-1 Transparence / 2-1-1 Identifications de l’annonceur et de l’autorité de régulation concernée :

L’annonceur à l’origine de la publicité doit être clairement identifié ou identifiable. Cette identification doit être lisible dans des conditions normales de lecture et facile d’accès pour tout consommateur. / La publicité doit permettre au consommateur d’identifier, directement ou indirectement, l’autorité de régulation nationale (ou ARN) qui a officiellement habilité l’annonceur à proposer le type de produits ou services dont il fait la publicité.

2-1-2 Clarté, loyauté et véracité de la publicité (…) / b) Équilibre de la publicité :

Le contenu de la publicité et des promesses annoncées doit être véridique et répondre au principe de loyauté. / En ce sens, l’ensemble de la publicité doit être équilibré entre, d’une part, la présentation des performances (gains, rendements y compris sous forme visuelle ou graphique) du produit ou service et, d’autre part, les risques inhérents à la souscription de ce dernier. / Cet équilibre de la publicité, recommandé par divers régulateurs européens, implique la présence, dans toute publicité, quel que soit le support de diffusion utilisé, d’une information claire, intelligible et parfaitement lisible et/ou audible sur les risques propres à l’activité ou au(x) produit(s) visé(s). / Lorsque la présentation de ces risques se traduit à l’écrit par une mention, celle-ci devra se distinguer, par tous moyens, des autres informations (et, notamment, ne pas être accolée aux autres mentions) sauf impossibilité technique liée au format et, à l’oral, un énoncé audible devra se distinguer clairement de toutes autres informations / Dans tous les cas, la publicité ne peut laisser penser que le consommateur ne prend aucun risque et/ou que son risque est limité. ».

  1. c) La promesse de résultats :

Les rendements / gains (en valeur absolue ou en pourcentage notamment) ne sauraient être présentés comme réalisables systématiquement, acquis aisément ou encore comme récurrents, occultant ainsi le facteur risque. / Enfin, la publicité ne doit pas induire que la compétence, l’expérience ou une formation dispensée au consommateur lui permettra d’éliminer les aléas du marché.

2-2 Responsabilité sociale et protection des mineurs / 2-2-1 Responsabilité sociale :

La publicité pour les produits ou services relevant du champ d’application ne doit pas, de quelque manière que ce soit : / minimiser les engagements et les risques, soit à l’étape dite de « formation » avec de l’argent virtuel, soit à l’étape de passage au marché réel (…) / présenter l’utilisation de ces produits ou services comme un jeu, ou procéder à une analogie entre les jeux d’argent et les produits financiers (…) ».

Ainsi que le Jury l’a précisé à de nombreuses reprises dans ses avis, les bannières constituent une forme de publicité appelant par un message accrocheur à se rendre sur le site de l’annonceur, dont la taille réduite ne permet pas d’y mentionner un grand nombre d’informations. Dans la mesure où ces bannières comportent un message portant sur une offre attractive, la règle d’équilibre résultant du b) du point 2-1-2 de la fiche de doctrine précitée doit s’appliquer dès ce stade. L’annonceur doit donc veiller à ce que, dans ces messages, figure au moins une mention lisible afférente aux risques que présentent les investissements en cause, dont la taille et la précision doivent être proportionnées à l’ampleur et à la probabilité de la promesse de gain éventuellement affichée par la publicité. En outre, les règles figurant au c) du même point 2-1-2 et l’exigence de responsabilité sociale résultant de son point 2-2-1 s’y appliquent également.

En revanche, dans la mesure où ces messages sont de nature à inciter à consulter le site de l’annonceur, et où le point 2-1-1 de la Recommandation sur la règle de transparence exige seulement que l’annonceur soit identifié ou « identifiable » et que l’autorité de régulation dont il relève puisse être identifiée « directement ou indirectement », il est sans gravité que la bannière elle-même ne les mentionne pas expressément (cf. avis 199/12 du 21 juin 2012).

Sur le respect de la règle de transparence

Il résulte du paragraphe précédent que l’AMF ne peut utilement se prévaloir de cette règle pour critiquer les bannières litigieuses.

S’agissant de la publicité diffusée par message électronique, reproduite en page 8 de la plainte, elle identifie clairement l’autorité de régulation compétente. En outre, si la raison sociale de l’annonceur est X, l’utilisation du nom commercial Y apparaît suffisante pour l’identifier.

Sur le respect de l’exigence de responsabilité sociale

Le Jury n’identifie, dans les publicités litigieuses, aucune mention minimisant explicitement les engagements et les risques, ou assimilant le trading de produits dérivés à un jeu d’argent. En particulier, la question / réponse « Est-ce que Marion peut générer 300 € grâce au trading de devises ? / Oui / Non » ne renvoie nullement à un jeu mais vise seulement à susciter la curiosité des internautes sur les potentialités du service promu. Le point 2-2-1 de la Fiche de doctrine n’est donc pas méconnu.

Sur le respect de la règle d’équilibre

L’ensemble des publicités visées par la plainte comportent une mention sur les risques encourus, faisant état, selon le cas, d’un risque de « perte potentielle du capital investi » ou de « risques de pertes élevé » ou encore d’un « degré élevé de risque susceptible de ne pas convenir à tout le monde et où vous risquez de perdre le montant investi ». En dépit de la taille réduite des caractères, le Jury considère que, eu égard au format des bannières et au regard du contenu de la promesse de gain affichée, ces mentions respectent l’exigence de lisibilité.

Le Jury observe que les éléments produits par l’AMF et la société, ainsi que les échanges intervenus lors de la séance, n’ont pas permis de déterminer si les clients étaient susceptibles de perdre davantage que le capital qu’ils ont investi et de se voir ainsi réclamer le remboursement d’une somme qui leur aurait été prêtée par la société, ou si celle-ci leur offrait les garanties techniques ou commerciales permettant d’exclure une telle éventualité.

Dans le premier cas, les mentions reproduites ci-dessus, qui se bornent à faire état d’un risque de perte du capital investi ou d’un risque de perte « élevé », ne respecteraient pas la règle d’équilibre. En l’état des informations portées à sa connaissance, le Jury ne peut retenir ce grief. Il invite toutefois la société à modifier sans délai ses publicités, le cas échéant. Pour le surplus, le Jury estime que la précision de ces mentions est proportionnée à l’ampleur et à la probabilité de la promesse de gain que comporte chaque publicité.

Le Jury estime ensuite que les publicités en cause n’induisent pas en erreur le consommateur sur la réalité des formations qui lui sont proposées. Si la publicité figurant en page 8 mentionne un « guide PDF gratuit et exclusif : Protrader » dont la couverture est reproduite, elle n’allègue pas, contrairement à ce que soutient l’AMF, que la seule lecture de ce guide permettrait au client d’atteindre un haut niveau de compétence dans le « trading », alors surtout qu’elle fait par ailleurs état d’une « formation gratuite » et d’un « compte de démo ».

Le Jury précise en outre qu’il n’est en aucun cas compétent pour porter une appréciation sur les modalités concrètes de cette formation et, en particulier, sur le point de savoir si l’utilisation du compte de démonstration est représentative de la réalité de l’activité spéculative sur produits dérivés.

Enfin, l’absence de précision sur les instruments financiers que le client pourrait être amené à manier s’il souscrivait au service, ou encore le fait d’exprimer une promesse de gain en valeur absolue ou en dollars ne caractérisent pas une méconnaissance de la règle d’équilibre.

Sur le respect de la règle relative aux promesses de résultat

Aux yeux du Jury, les mentions « J’ai fait 2500 $ le mois dernier ! », « Est-ce que Marion peut générer 300 € grâce au trading de devises ? » et « Découvrez comment faire de l’argent… » ne présentent pas les gains comme réalisables systématiquement, acquis aisément ou comme récurrents. En particulier, la référence au « mois dernier », si elle laisse entendre que le client pratiquerait régulièrement une activité de spéculation, n’induit pas l’idée qu’elle lui permettrait de gagner de l’argent chaque mois.

En revanche, le Jury estime que la publicité comportant la mention « J’ai complété mes revenus de mon propre chef, à mon propre rythme et simplement… », propos attribués à un certain « Louis Berthet, 58 ans, Gérant », présente l’activité de « trading » de produits dérivés comme un moyen aisé pour se procurer de l’argent, le cas échéant de manière régulière, en complément d’un revenu d’activité professionnelle. A cet égard, la société ne peut sérieusement soutenir que cette publicité se bornerait à faire état du témoignage d’un trader brillant, sans prétention à la généralité.

De même, la mention « 1000 € en un jour seulement ? » suivie d’un bouton cliquable « J’en profite ! », met en avant de manière excessive une promesse de résultat élevée, rapide et simple.

Dans ces conditions, le Jury de déontologie publicitaire est d’avis que la seconde publicité de la page 2 et celle qui figure en page 8 de la plainte de l’AMF méconnaissent le c) du point 2-1-2 de la Fiche de doctrine « Publicité des produits financiers » de l’ARPP. En revanche, la plainte n’est pas fondée pour le surplus.

Le présent avis sera publié sur le site internet du Jury de Déontologie Publicitaire.

Avis adopté le vendredi 4 juillet 2014 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, M. Lallet, Vice-Président, Mmes Drecq et Moggio, et MM. Benhaïm, Carlo, Depincé, Lacan et Leers.