Avis JDP n°377/15 – FROMAGE – Plainte fondée

Avis publié le 23 septembre 2015
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu les représentants de l’agence de communication et de la société annonceur,
  • et, après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 8 juin 2015, d’une plainte émanant d’un particulier, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité diffusée par la société annonceur, par voie d’affiche lors du salon « Mondial du fromage », pour promouvoir son fromage de chèvre.

Cette publicité montre une femme intégralement nue, assise sur ses talons, de profil, les bras croisés sur sa poitrine, les mains positionnées sur le cou, son visage tourné vers l’objectif, les cheveux remontés et attachés sur sa tête, à la façon de deux cornes.

Cette image est accompagnée du texte « Source naturelle de bien-être – Fromage unique, le X vous offre 100% des bienfaits naturels du lait de chèvre entier cru qui 1. Nourrit & Hydrate 2. Apporte vitamines et minéraux ».

2. La procédure

La société annonceur ainsi que l’agence de communication, ayant réalisé cette campagne, ont été informées par courriers recommandés avec avis de réception du 19 juin 2015 de la plainte dont copie leur a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée. Ils ont été également informés que cette affaire ferait l’objet d’un examen dans le cadre de la procédure simplifiée prévue à l’article 12 du règlement intérieur du Jury.

A  la demande de la représentante de l’agence de communication, le Jury a entendu ses explications, ainsi que celles du représentant de l’annonceur, lors de sa séance du 11 septembre 2015. 

3. Les arguments échangés

– Le plaignant considère que cette publicité qui montre une femme nue animalisée est d’un « sexisme évident » et constitue une utilisation abusive du corps de la femme pour vendre un produit.

– La société annonceur indique que l’association regroupe les producteurs de lait, les producteurs fermiers et les entreprises productrices de l’AOP en cause.

Il précise que cette publicité n’a fait l’objet d’aucune campagne de diffusion, qu’elle a seulement été affichée sur la page Facebook de l’association et lors du salon « Mondial du fromage », puis reprise par les médias tourangeaux et notamment un titre de presse d’où provient l’article mentionné dans la plainte.

Il fait valoir que cette publicité est le fruit d’un travail de longue durée, mené en collaboration avec son agence de communication, à la suite d’une étude consommateurs réalisée en avril 2015. Cette publicité a été retenue parmi sept axes de communication au total et plusieurs motifs ont conduit à ce choix.

En premier lieu, il a été considéré que cet axe de publicité représentait toute la symbolique du produit et regroupait la majorité des arguments et adjectifs utilisés par les consommateurs, lors de l’étude, à savoir : pureté, douceur, précieux, raffiné, intemporel, jeunesse éternelle, bien-être, source de vie. En second lieu, cette publicité faisait le lien avec le dossier de presse initial, créé en 2005 par une agence de presse et dans lequel il était fait référence à la mythologie indienne mais également grecque, comparant le produit en cause à un fromage « divin ».

La représentation féminine est un nouveau clin d’œil à la mythologie et renvoie à Amalthée, mère nourricière de Zeus ainsi que la représentation de la corne d’abondance, source inépuisable de bienfaits.

L’annonceur explique que sa publicité se veut décalée, surfant sur le créneau « cosmétique » et les bienfaits du produit comme pourraient le faire les crèmes de beauté et autres produits cosmétiques.

Il estime que le motif invoqué par la plainte de « sexisme évident », n’est pas justifié car selon le Larousse, le sexisme se définit comme une « attitude discriminatoire fondée sur le sexe ». Or dans sa publicité, la représentation féminine ne présente aucune attitude discriminatoire, mais au contraire, sa posture, sa tête bien droite et son regard puissant sont synonymes d’assurance et de fierté avec une touche de douceur et de raffinement apportée par la position de ses mains. Il ajoute concernant la description « Femme nue animalisée » retenue dans la plainte que d’après le Larousse, « animalisé » signifie « rabaisser quelqu’un à l’état d’animal ». Sa posture et sa tête bien droite ne reflètent en aucun cas un état de soumission comme pourrait l’être un animal. Mais au contraire là encore, il s’agit d’une déesse, intouchable, sûre d’elle, fière et divine.

– L’agence de communication explique qu’il est ressorti d’une étude sur l’image de marque du fromage en cause auprès des consommateurs, ainsi que de professionnels, menée par un institut indépendant, dans trois grandes villes de France, que les valeurs et qualificatifs mis en avant par les sondés tournent autour du champ lexical de la féminité exprimée comme une divinité et du bien-être, les mots les plus couramment utilisés étant les suivants : « maternel », « source de vie », « vecteur de vie », « renaissance », « éternelle jeunesse », « divin », « noblesse », « rareté », « modernité », « éternité », « royal », « sensation de bien-être », « ça délivre du bien-être »…

L’agence ainsi que les représentants de l’AOP ont donc souhaité représenter une figure noble et statuaire, indépendante de tout rattachement aux hommes ou au genre humain qui serait résumé par la classification Homme/Femme.

Cette vision du produit en cause, telle qu’exprimée par les consommateurs, est d’ailleurs parfaitement en phase avec les valeurs et l’histoire de ce fromage, puisque le dossier de presse remis à l’agence au départ de sa mission faisait référence aux mythes et contes autour du produit. C’est donc tout naturellement par référence à la déesse Amalthée, que cette publicité a été construite.

La représentante de l’agence rappelle qu’Amalthée était dans la mythologie, la nourrice de Zeus et qu’elle est tantôt représentée en chèvre, tantôt en « femme », ou plutôt en figure aux attributs féminins. Elle nourrissait Zeus au lait de chèvre, jusqu’au jour où celui-ci, dans un élan de colère, cassa l’une des cornes de sa nourrice. Le mythe raconte que pour dédommager Amalthée, Zeus transforma la corne cassée en corne d’abondance, laquelle devint une source inépuisable de nourriture et de bienfaits.

Elle précise que de nombreuses représentations d’Amalthée présentent cette divinité dévêtue, comme la quasi-totalité des divinités, sans que cela n’ait aucune connotation sexuelle. Cette image étant d’ailleurs couramment reprise dans les publicités.

S’agissant de la coiffure dite « à cornes », elle fait observer qu’il s’agit d’une coiffure classique au moyen-âge et à la renaissance, sans pour autant que cela ait un quelconque lien avec l’« animalisation » de la femme.

Ainsi, selon l’agence, la publicité, objet de la plainte, présente une créature, une allégorie, un symbole bien plus qu’une femme. Il s’agit d’une représentation de la déesse, issue de la mythologie, avec en filigrane, toute la symbolique ayant trait à la corne d’abondance et au caractère nourrissant et sain du lait de chèvre. Elle véhicule et illustre les vertus et valeurs intemporelles de l’AOP en question.

Elle estime que la figure représentée est au-dessus des humains et ne peut en aucun cas être « rabaissée à l’état animal » tel que le terme « animaliser » de la plainte l’entend. Son regard ferme et « droit dans les yeux » est celui de la puissance et de l’affirmation et non de l’avilissement. Elle ajoute qu’aucune partie du corps de la femme n’est visible puisque les fesses, le sexe et la poitrine sont dissimulés et que cette représentation, accusée de « sexisme évident » n’établit pas de différence entre les hommes et les femmes.

L’agence expose également que la plainte fait suite à l’un des nombreux articles publiés par un titre de presse. En effet, ce journal a manifestement mené à dessein une véritable campagne à l’encontre de cette publicité, orientant l’interprétation du public et l’incitant à des critiques extrémistes. Elle s’explique cette attitude par le fait que dans la compétition lancée pour la réalisation de la campagne publicitaire de la marque en cause, elle se trouvait en concurrence avec une filiale de communication de cet organe de presse et que celle-ci n’a pas admis ne pas avoir été choisie.

L’agence indique que même si le public devait interpréter la figure symbolique comme représentant une femme, force est de constater que l’image de la femme est très régulièrement utilisée dans les publicités pour les fromages. L’image de la femme comme allégorie et représentation d’une divinité est également souvent utilisée, notamment pour la promotion de parfums sans que cela choque le public et alors même qu’il n’existe aucun rapport entre le produit vendu et la représentation qui en est faite.

Elle fait observer que la nudité n’est dans cette publicité absolument pas mise en exergue, d’autant moins que la représentation est en noir et blanc, la figure représentée étant une divinité et que sa représentation n’est ni avilissante, ni aliénante, conformément au texte de la Recommandation sur l’image de la personne humaine. Selon elle, aucune idée de soumission ou de dépendance n’est insinuée par ce visuel et la personne humaine n’est absolument pas comparée ou ramenée à un objet.

4. L’analyse du Jury

En utilisant le qualificatif de « sexisme » pour motiver sa plainte, le plaignant renvoie aux dispositions de la Recommandation « Image de la personne humaine » de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) relatives à une représentation de la femme en publicité qui ne soit ni dégradée ni dégradante et qui ne la place pas dans une position d’infériorité à l’égard des hommes.

Le Jury rappelle que cette Recommandation dispose, en son point 2 – Stéréotypes sexuels, sociaux et raciaux, que : « 2.1 « La publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet ».

Il relève que la publicité mise en cause, qui vise à promouvoir un fromage représente un modèle féminin intégralement nu et coiffé de manière à ce que ses cheveux aient la forme de cornes.

A titre préalable, le Jury rappelle que dans le cadre de la mission de veiller au respect des règles de déontologie publicitaire, qui lui est confiée, il peut être saisi par toute personne, physique ou morale du non-respect de ces règles dans une publicité. En conséquence, il est sans portée que la plainte puisse émaner d’un concurrent de l’agence créatrice de la publicité.

Sur le fond, les explications données par l’agence de communication lors de la séance ont montré qu’elle avait incontestablement accompli un travail de réflexion et de recherche approfondi souhaitant apporter une création originale et une image innovante au produit. Toutefois, aucun élément de la publicité en cause ne permet au spectateur non averti de comprendre que le modèle représente la déesse Amalthée laquelle n’a jamais, jusqu’à l’affiche en cause, fait l’objet d’une référence liée au fromage bénéficiant de l’AOP en cause qu’elle soit historique ou symbolique.

Ainsi, l’affiche critiquée donne seulement à voir une femme intégralement nue, sans que son regard ou sa plastique permette, contrairement à ce que déclare l’agence, de déceler que celle-ci est une déesse mythologique.

Par ailleurs, il n’existe aucun lien entre cette nudité et le produit, le fait que le fromage de chèvre puisse apporter un certain nombre de bienfaits au corps humain n’étant pas suffisant pour justifier l’utilisation de la nudité dans le cadre de sa promotion, alors que de nombreux autres procédés permettent, dans le respect des règles déontologiques, de mettre en valeur ce type de produits.

Le positionnement du modèle de façon à ne pas laisser apparaître la poitrine ou les fesses, ou le fait que son regard soit direct, ou encore que la photo soit travaillée de façon esthétisante ne conduisent pas à justifier cette présentation.

En conséquence, le Jury estime que la publicité en cause réduit le corps de la femme à la fonction d’objet de promotion, sans que la sincérité de l’agence dans son analyse et de l’annonceur dans son choix, dont ils ont chacun témoigné devant lui, puissent constituer pour le Jury un élément d’appréciation.

Il est donc d’avis que la publicité en cause méconnaît les points précités de la Recommandation.

Le présent avis sera publié sur le site internet du Jury de Déontologie Publicitaire.

Avis adopté le vendredi 11 septembre 2015 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, Mmes Drecq et Moggio et MM. Benhaïm, Carlo et Leers.