Avis JDP n°381/15 – RESTAURATION RAPIDE – Plaintes non fondées

Avis publié le 23 septembre 2015
Plaintes non fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant les dossiers de plaintes,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations et à prendre part à la séance,
  • et, après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. Les plaintes

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi le 21 juillet 2015 de trois plaintes de particuliers, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur de deux publicités de la société annonceur, pour son restaurant, diffusées en affichage devant le lieu de vente.

L’un des visuels présente la photo d’une barquette contenant un plat typique du Québec, dénommé « poutine », proposé par le restaurant, à côté de laquelle est disposé un épi de maïs et une canette de boisson, accompagnées du texte « Ça y est ta blonde aussi va déguster ».

L’autre visuel présente le dessin d’une barquette de frites dans laquelle un cochon stylisé est installé comme dans une baignoire. Ce visuel est accompagné du texte écrit en corps gras et majuscules « la grosse cochonne au porc effiloché ». En dessous, sont mentionnés les tarifs du plat et du menu.

2. Les arguments échangés

– Les plaignants énoncent que ces publicités sont sexistes et violentes et en ce sens contraires aux règles relatives au respect de la dignité humaine.

Pour l’un d’eux, le premier message attache la consommation de salade à la femme et les culpabilise si elles mangent quelque chose de plus gras, les réduisant à leur apparence et à leur « obligation » de maintenir leur minceur, le culte de la minceur étant dangereux pour beaucoup de femmes et réducteur pour toutes. Il estime par ailleurs que le slogan « ta blonde aussi va déguster » comporte un double sens car « blonde » signifie copine en québécois et le verbe déguster constitue une « métaphore sexuelle évidente », présentant la sexualité féminine comme une punition, quelque chose de subi, d’imposé, de violent ou un passage à tabac.

La deuxième plainte porte sur les deux affiches. Le plaignant invoque des arguments identiques à ceux qui viennent d’être exposés, sur la première, et il considère, sur la seconde, que le slogan incite à rire à propos « d’une grosse cochonne » et que la publicité utilise « l’hyper sexualisation pour vendre un plat ». Il dénonce à la fois une discrimination, une injure et un appel à la maltraitance faite aux femmes perçues comme des objets sexuels.

La troisième plainte porte sur les deux affiches, le plaignant estimant qu’elles appellent à la maltraitance envers les femmes.

– La société annonceur a été informée, par courrier recommandé avec avis de réception du 12 août 2015, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Ses dirigeants expliquent que le restaurant est un fast-food canadien récemment ouvert, qu’ils sont passionnés du Québec ainsi que du plat dénommé la poutine et qu’ils ont décidé de jouer la carte de l’humour parce que « plus qu’en France aujourd’hui, le Québec aime jouer avec la dérision et le second degré ».

La nouvelle communication créée début juin, proposait une « nouvelle poutine évènementielle » (qui change tous les 2 à 3 mois environ) ainsi que les nouveaux produits estivaux : salades et maïs en accompagnement des burgers, proposés par le restaurant.

Ils estiment que les arguments développés dans les plaintes relèvent d’une interprétation démesurée et outrancière, car il s’agit ici d’un « toon » représentant un animal, ici une cochonne – ou truie – humanisée, à qui les concepteurs de la publicité ont voulu donner une « bonne tête », sympathique et rigolote.

Sur l’affiche de promotion des plats estivaux ils font valoir que le restaurant a depuis son ouverture, une clientèle nombreuse et hétéroclite, en âge ou sexe et qu’il s’est forgé une image de générosité dans ses plats, c’est pourquoi un « clin d’œil » a été apporté avec les salades et l’accompagnement « maïs » plus légers. Ils considèrent que les plaignants ne semblent pas avoir compris que, sur le ton de la dérision, le message indique que même les plus petits estomacs vont pouvoir aussi déguster – et finir- leurs plats.

Ils font encore valoir être attentifs à la question de la parité Femme/Homme, notamment, dans leur recrutement de personnels et indiquent que ces publicités ont été réalisées à titre « événementiel », et qu’elles seront retirées dès la fin de ce mois d’août. Elles n’existeront donc plus lors de la séance du Jury.

Ils s’engagent par ailleurs à prendre en compte, à l’avenir, les dispositions de la Recommandation « Image de la personne humaine ».

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image de la personne humaine » de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) dispose en son point 2/1 que : « La publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet. » et en son point 2.3 que « L’expression de stéréotypes, évoquant les caractères censés être représentatifs d’un groupe social, ethnique, etc., doit tout particulièrement respecter les principes développés dans la présente Recommandation ».

Sur la première publicité dont le slogan est « Ça y est, ta blonde aussi va déguster », le Jury observe que si le message associe la consommation de plats légers à la féminité et utilise ainsi un stéréotype selon lequel les femmes feraient davantage attention à rester minces que les hommes, ce stéréotype n’est ni dégradant, ni avilissant ; il ne réduit pas non plus, à lui seul, la femme à la fonction d’objet.

Si le verbe « déguster » peut revêtir un double sens de nature sexuelle, il est ici clairement rattaché à un plat typique et utilisé avec la conjonction « aussi » qui implique un partage et exclut l’interprétation des plaignants comme signifiant implicitement un mauvais traitement ou une violence.

S’agissant de la seconde publicité dont le slogan est « la grosse cochonne au porc effiloché », le Jury relève que le visuel accompagnant ce slogan est une caricature représentant un cochon avec des cheveux surmontés d’un nœud, couché dans une barquette de frites à la façon d’une baignoire.

Il apparaît au Jury que contrairement à ce que soutiennent les plaignants ce dessin ne renvoie pas à une personne humaine en général et en particulier pas à une femme. Le genre orthographique féminin justifié par l’accord entre la désignation « la grosse cochonne » et le genre féminin du plat concerné, la poutine, pour identifier une variété de ce plat contenant du porc, ne conduit pas à analyser ni le dessin, ni la publicité dans son ensemble, comme comportant une allusion aux femmes et comme étant dégradante pour elles.

Par ailleurs, il n’entre pas dans la mission confiée au Jury de qualifier le bon ou le mauvais goût d’une publicité, aucune recommandation n’interdisant le second.

Enfin le Jury prend acte de l’engagement des annonceurs de prendre désormais plus en compte la Recommandation Image de la personne humaine. Il rappelle à ce sujet que les services de l’ARPP peuvent renseigner les annonceurs dans le cadre de conseils préalables à la diffusion de publicités et les invite à davantage s’interroger sur les interprétations possibles de leurs publicités et la portée qu’elles peuvent avoir auprès du public.

Par suite de l’ensemble de ce qui précède, le Jury de déontologie publicitaire est d’avis que la publicité en cause ne contrevient pas aux dispositions de la Recommandation « Image de la personne humaine ».

Le présent avis sera publié sur le site internet du Jury de Déontologie Publicitaire.

Avis adopté le vendredi 11 septembre 2015 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, Mmes Drecq et Moggio et MM. Benhaïm, Carlo, Lacan et Leers.