Avis JDP n°340/14 – COOPÉRATIVE AGRICOLE – Plainte fondée

Avis publié le 30 octobre 2014
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations et à prendre part à la séance,

– après avoir entendu les représentantes de la  Délégation Régionale aux Droits des femmes et à l’Egalité de la Martinique et de l’agence de communication,

– et, après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1.La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 19 août 2014, d’une plainte émanant de la  Déléguée Régionale aux Droits des femmes et à l’Egalité de la Martinique, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité diffusée en affichage, en faveur d’une union de coopératives d’élevage de la Martinique.

Cette publicité montre, en gros plan, un hamburger préparé à côté duquel sont posées, sur une planche en ardoise, deux tranches de viandes grillées.

Cette image est accompagnée du texte « Nouveau – Grillades – Burgers de poulet – 3 saveurs : Nature, Chabine et Capresse ».

2.Les arguments échangés

La plaignante énonce que cette publicité a recours à une association plus que suggestive empruntant des « génotypes créoles » pour énoncer les saveurs de la viande. Il s’agit donc d’une assimilation au premier degré de la femme à la viande, ce qui constitue une image dégradante pour la femme.

Elle met en avant la résonance culturelle de ce type de message dans l’inconscient collectif du territoire de la Martinique. En effet, aucun goût s’apparentant aux termes « Chabine » et « Capresse » ne peut être démontré ni expliqué. Selon elle, il y a manifestement une volonté d’utiliser la femme de manière abusive pour faire consommer.

L’annonceur a été informé par courrier recommandé avec avis de réception du 15 septembre 2014 de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée. Il n’a pas formulé d’observations.

La société qui a affiché cette campagne sur son réseau, a transmis ce dossier à l’agence de publicité concernée pour suivi.

L’agence de communication en charge de la campagne fait valoir que la campagne publicitaire menée avait pour but de mettre en avant la provenance du produit, qui est 100% local. En effet, les produits concernés sont les seuls produits contenant 100% de viande locale. L’élevage est entièrement assuré en Martinique.

Concernant les mentions « Grillades – Burgers de poulet – 3 saveurs : Nature, Chabine et Capresse», elles visent à informer le consommateur que la viande peut être consommée selon plusieurs goûts et saveurs, notamment nature ou épicée. Selon le degré d’épice utilisée, la couleur de la viande peut changer, d’où l’utilisation des codes couleurs locaux : Chabine et Capresse.

La société précise que l’emploi de ces mots est très courant dans les Antilles, et ne comporte aucune connotation dégradante ou raciste. Contrairement à la métropole, les personnes peuvent s’interpeller selon la couleur de peau. Les mots « Chabine » et « Capresse » sont parfois employés pour flatter une personne. De fait, il existe de nombreux commerces dont la dénomination utilise ces mots, y compris d’ailleurs sur le territoire métropolitain.

Par ailleurs, l’affiche publicitaire ne comporte aucune représentation du corps humain ou de la femme, ni aucun « code féminin ». Si les mots « Chabine » et « Capresse » sont au féminin, c’est en raison d’un accord grammatical avec le mot « saveur ».

L’agence de communication ajoute qu’elle est une petite agence publicitaire installée en Martinique depuis 2002, respectueuse des règles déontologiques, et qui a réussi à se maintenir jusqu’à ce jour malgré un marché très concurrentiel et hostile pour les non locaux. Elle se dit victime d’une campagne de déstabilisation menée par ses concurrents.

Elle précise enfin que la campagne, qui n’a pas suscité de contestation localement, a pris fin le 19 août 2014.

3.L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que, selon le point 1/1 de la Recommandation « Image de la personne humaine » de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) : « La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence ».

Le Jury relève que la publicité mise en cause désigne par les mots « Chabine » et « Capresse », deux des trois saveurs des viandes dont elle fait la promotion, selon qu’elles sont plus ou moins épicées. Ces mots renvoient, selon les indications fournies au Jury, à des termes utilisés dans les Antilles pour désigner des phénotypes créoles.

Le Jury estime que l’utilisation du féminin pour ces deux mots se rapporte uniquement au terme « saveurs » et, en l’absence de toute autre référence faite par la publicité à la gente féminine, ne peut être regardée comme induisant l’idée d’une infériorité des femmes ou comme livrant une représentation dégradante ou insultante de celles-ci.

En revanche, l’assimilation à laquelle procède la publicité entre la couleur de peau de certaines personnes, quel que soit leur sexe, et le goût de la viande commercialisée apparaît de nature à choquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité. Elle associe en effet, au premier degré, des catégories de produits alimentaires à des catégories de personnes, définies selon leur apparence extérieure, sans que cette association repose sur un fondement objectif.

Dans ces conditions, le Jury de déontologie publicitaire est d’avis que la publicité mise en cause méconnaît le point 1/1 de la Recommandation « Image de la personne humaine » de l’ARPP. Il prend note de ce que la campagne d’affichage s’est interrompue en août 2014, et de ce que l’annonceur a décidé de ne plus employer les termes litigieux sur les emballages de ses produits et dans ses publicités.

Le présent avis sera publié sur le site internet du Jury de Déontologie Publicitaire.

Avis adopté le vendredi 17 octobre 2014 par M. Lallet, Vice-Président, Mme Drecq et MM. Benhaïm, Carlo, Depincé, Lacan et Leers.