Avis JDP n°367/15 – PRODUITS COSMETIQUES – Plainte partiellement fondée

Avis publié le 24 juin 2015
Plainte partiellement fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire, 

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,

– après avoir entendu les représentants des sociétés annonceur et plaignante,

– et, après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 8 avril 2015, d’une plainte de la société Colgate-Palmolive, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité pour des produits cosmétiques, diffusés sur le site Internet de la société.

La plaignante fait grief à la publicité en cause de présenter la gamme des produits de soins, puis chacun d’eux comme étant « Sans allergènes – Hypoallergéniques ».

 2. Les arguments échangés

La société plaignante considère que le contenu des publicités visées méconnaît les dispositions du code de la chambre de commerce internationale consolidé sur les pratiques de publicité et de communication commerciale (le code ICC) et celles de la Recommandation de l’ARPP relative aux produits cosmétiques, en ce que les allégations formulées sont trompeuses pour les consommateurs, quant à la composition des produits en question.

Elle précise que l’allégation « Sans allergènes » est une allégation absolue qui, dans l’esprit du consommateur moyen, implique que la formule ne contient absolument aucun allergène. Associée au terme « hypoallergénique », qui lui-même induit un risque réduit d’allergies, cette allégation renforce l’impression que l’utilisation de cette gamme de produits ne comporte aucun risque d’allergie. Or, selon elle, les facteurs de risque de déclenchement d’une allergie peuvent être multiples et l’identification des allergènes est en constante évolution. Dans ce contexte, il lui apparaît scientifiquement impossible de garantir qu’un produit cosmétique ne contient aucune substance allergène et ne déclenchera aucune réaction allergique.

Elle ajoute que le Comité scientifique de Sécurité des Consommateurs de l’Union européenne a identifié, à partir des études disponibles et des multiples cas d’allergies signalées par des dermatologues, plus de 100 substances additionnelles et extraits naturels pouvant être rangés dans la catégorie « allergènes de contact établis » ou « allergènes de contact probables ».

Dans ses conclusions, le CSSC recommande que les consommateurs soient informés de la présence dans les produits cosmétiques des allergènes connus et probables en plus des 26 déjà identifiés par le règlement CE n° 2009-1223 concernant ce type de produits. Un projet de modification de ce règlement sera en ce sens prochainement proposé par la Commission européenne.

Par conséquent, même si la composition d’un produit cosmétique ne comporte aucun des allergènes « étiquetables » selon la réglementation cosmétique en vigueur, cela ne signifie pas qu’il est « sans allergènes ».

Selon la société plaignante, un fabricant ne peut garantir qu’un cosmétique ne déclenchera pas de réaction allergique, notamment chez certains individus déjà sujets à des réactions allergiques. Un fabricant peut simplement indiquer qu’il a choisi des ingrédients de façon à obtenir un produit fini comportant un risque réduit de provoquer des réactions allergiques.

La société qui exploite la marque en cause a été informée par courrier recommandé avec avis de réception du 5 mai 2015 de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Pour présenter son argumentation, elle a transmis au Jury la réponse qu’elle a adressée à la plaignante, le 8 avril 2015 et a joint à cet envoi un rapport de la DGCCRF qui atteste de la conformité des allégations formulées au règlement CE n° 2009-1223.

Dans cette réponse, elle souligne que la plupart des produits portant la mention « hypoallergénique » contiennent des substances allergènes.

Elle précise que ses produits sans allergène (non seulement les 26 substances reconnues par la réglementation CE 1223/2009 et ses adaptations, mais aussi, par précaution, l’ensemble des substances faisant l’objet de la prochaine mise à jour) apportent une véritable avancée pour les consommateurs, surtout pour ceux ayant la peau particulièrement fragilisée.

Dans sa lettre adressée à la plaignante le 16 avril 2015, le responsable de l’annonceur a indiqué qu’il estimait justifiée la remarque selon laquelle il ne peut être totalement garanti qu’un produit ne peut déclencher une allergie et qu’il avait en conséquence fait modifier les indications du site en y faisant ajouter des justifications de l’allégation et la précision que les produits étaient conçus pour minimiser les risques d’allergies. Il a indiqué que sa société s’appliquait à exclure les allergènes, non en se limitant aux 26 substances « étiquetables », mais à l’ensemble des substances, connues et probables, répertoriées à ce jour.

La consultation du site permet de constater que la mention « sans allergènes » a été assortie d’un astérisque qui renvoie à la précision suivante « Sans substance officiellement reconnue allergènes cutanées par le règlement cosmétique CE 1223/2009 et ses adaptations. Produit conçu pour minimiser les risques d’allergie ».

La société a soutenu dans des observations qu’elle a adressées le 21 mai 2015 que la précision ainsi ajoutée est insuffisante puisque les facteurs individuels de déclenchement d’une allergie peuvent être multiples et l’identification des allergènes est en constante évolution. Elle en déduit que malgré les modifications opérées, l’annonceur contrevient aux règles déontologiques en vigueur et, notamment, à la recommandation produits cosmétiques de l’ARPP, aux principes élémentaires prévus par les dispositions générales sur les pratiques de publicité et de communication commerciale, ainsi qu’à la recommandation mentions et renvois de l’ARPP.

3. L’analyse du Jury 

Le Jury rappelle qu’il a reçu pour mission de la part de l’ARPP de donner son avis sur le respect de la déontologie publicitaire au regard des seuls principes énoncés par le code de la Chambre de commerce internationale sur les pratiques de publicité et de communication marketing (le code CCI consolidé) et des Recommandations édictées en son sein par les représentants des professionnels associés au sein de l’ARPP.

Il résulte des dispositions du code CCI consolidé, précité, que :

« Article 3 Loyauté – La communication commerciale doit être conçue de manière à ne pas abuser de la confiance des consommateurs ou à ne pas exploiter le manque d’expérience ou de connaissance des consommateurs.

Tout facteur pertinent susceptible d’influencer la décision des consommateurs doit être signalé d’une manière et à un moment qui permettent aux consommateurs de le prendre en considération. »

Le point 5 relatif à la véracité dispose que : « La communication de marketing doit être véridique et ne peut être trompeuse ».

«La communication commerciale ne doit contenir aucune affirmation, aucune assertion ou aucun traitement audio ou visuel qui soit de nature, directement ou indirectement, par voie d’omissions, d’ambiguïtés ou d’exagérations, à induire en erreur le consommateur, notamment, mais pas exclusivement, en ce qui concerne:

  • des caractéristiques du produit qui sont essentielles, ou en d’autres termes, de nature à influencer le choix du consommateur, telles que la nature, la composition, la méthode et la date de fabrication, le domaine d’utilisation, l’efficacité et les performances, la quantité, l’origine commerciale ou géographique, ou l’impact sur l’environnement »

Par ailleurs, la Recommandation « Produits cosmétiques » de l’ARPP dispose à son point 2/4 que :

« Allégation hypoallergénique
Le terme “hypoallergénique” est le seul mot dérivé d’allergie qui puisse être utilisé, sans explication particulière, pour qualifier des produits conçus de manière à minimiser le plus possible les risques d’allergie.
Tous les autres termes dérivés du mot “allergie” sont interdits. Le terme “allergie” ne peut être utilisé qu’avec une grande prudence.
L’utilisation de ce terme doit être conforme aux usages de la profession. »

Le Jury relève que la présentation des produits de soin pour le corps de la marque, sur le site Internet dédié à cette marque, utilise sur la première page consacrée à la gamme de ces produits, la mention « Sans allergènes-Hypoallergénique ». Par ailleurs, sur les pages descriptives de chacun de ces produits, est inscrite la mention « Sans allergènes, parabènes, phtalates, colorants éthers de glycol, formaldéhydes ».

La société annonceur a produit les résultats d’analyses effectuées en avril 2014 par la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECTTE) de la région Poitou-Charentes sur trois des produits présentés. Ce rapport indique que « les trois produits et leurs étiquetages sont conformes aux exigences vérifiées par notre laboratoire du règlement modifié n° 2009-1223 relatif aux produits cosmétiques ». L’examen des résultats de ces tests permet de constater, notamment, que les produits en cause ne contiennent aucun des 10 composants chimiques Parabènes et Phénoxy-alcools, ni de conservateurs aides, ni d’allergènes odoriférants. Pour chacun des produits, l’administration conclut que « Ce produit et son étiquetage sont conformes aux exigences vérifiées par notre laboratoire du règlement modifié n° 2009-1223 relatif aux produits cosmétiques ».

Dans ces conditions et dans la mesure où le Jury ne dispose d’aucun élément qui pourrait le conduire à constater que les résultats de ces tests pourraient être différents pour d’autres produits de la gamme, l’utilisation de la mention « sans allergène » n’apparaît pas constituer un manquement au regard des articles 3 « loyauté » et au point 5 de l’article « véracité ». En effet, dans la mesure où les services de l’Etat ont reconnu la conformité des produits et de leur étiquetage au qualificatif sans allergène, l’utilisation de ce terme ne peut être considérée comme trompeuse, fallacieuse, ou de nature à induire le consommateur en erreur, ou encore à abuser de sa confiance. De plus, le Jury relève qu’en ayant par renvoi apporté la précision selon laquelle les produits étaient « Sans substance officiellement reconnue allergènes cutanées par le règlement cosmétique CE 1223/2009 et ses adaptations. Produit conçu pour minimiser les risques d’allergie », la société annonceur a, sous réserve de ce qui sera relevé ci-dessous, renforcé l’information du consommateur et évité le risque d’une mauvaise compréhension de la mention « sans allergène » comme garantissant de façon certaine le risque d’allergie.

S’agissant du respect de la Recommandation produits cosmétiques de l’ARPP, le Jury observe que celle-ci énonce que « le terme “allergie” ne peut être utilisé qu’avec une grande prudence », mais que « Tous les autres termes dérivés du mot “allergie” sont interdits ». En application de cette énonciation claire et dénuée d’ambiguïté, il est permis à un annonceur de préciser dans des termes prudents et loyaux, et pour autant qu’il puisse le démontrer, que son produit est conçu pour minimiser les risques d’allergie ou ne contient aucune substance actuellement répertoriée comme suscitant des allergies ; en revanche, il lui est interdit d’utiliser tout terme dérivé du terme allergie, notamment, le terme « allergène ».

Dès lors le Jury est d’avis qu’en faisant figurer la mention « sans allergènes », la publicité pour la gamme de soins concernée n’a pas respecté la Recommandation Produits cosmétiques de l’ARPP en ce qu’elle a utilisé un des dérivés du mot allergie, lesquels sont « interdits ».

Dans ses observations complémentaires, la société plaignante a indiqué que le renvoi apporté par la société annonceur n’était pas conforme non plus au préambule de la Recommandation « Produits cosmétiques » qui précise que « toute allégation doit être véridique, claire, loyale objective et ne pas être de nature à induire en erreur ». Sur ce point le Jury renvoie à l’analyse des griefs de déloyauté et de véracité qui ont été examinés précédemment, dans le cadre de l’analyse relative aux dispositions du code ICC consolidé.

La société plaignante soutient encore que la formulation de la publicité critiquée n’est pas conforme « aux principes élémentaires prévus par les dispositions générales sur les pratiques de publicité et de communication commerciale », selon lesquelles la publicité doit respecter les principes de la concurrence loyale, tels qu’ils sont généralement admis dans les relations commerciales. Elle précise à ce titre que l’allégation « sans allergène » est déloyale au regard de l’ensemble des fabricants de produits cosmétiques qui utilisent exclusivement l’allégation hypoallergénique pour faire la publicité des produits conçus de façon à minimiser le plus possible les risques d’allergie et qui excluent de leur composition les 26 substances dites allergènes listées par la règlementation en vigueur, conformément aux lignes directrices édictées par la fédération des entreprises de la beauté.

Sur ce point, le Jury relève que dans la mesure, où les services de l’Etat ont délivré un certificat de conformité aux allégations « sans allergène » des produits, la société Novamex n’apparaît pas, et dans la seule mesure où il puisse donner un avis sur ce point, avoir enfreint les règles de la concurrence loyale.

Enfin, la société ajoute que le renvoi qui précise « Sans substance officiellement reconnue allergènes cutanées par le règlement cosmétique CE 1223/2009 et ses adaptations. Produit conçu pour minimiser les risques d’allergie » est contraire à l’article 3 de la Recommandation « mentions et renvois » de l’ARPP selon lequel « la clarté d’une publicité impose que les mentions soient intelligibles (…) [ce qui] suppose, notamment, une formulation permettant d’en appréhender le sens sans difficulté et de manière non erronée » et que « les différentes mentions ne doivent pas présenter de caractère contradictoires entre elles ».

Cependant, la précision de la règlementation européenne justifiant les limites de l’allégation n’apparaît pas contradictoire avec l’indication selon laquelle les produits sont « conçus pour minimiser les risques d’allergie ». De plus, si, ainsi que le relève justement la société plaignante, les consommateurs n’ont pas nécessairement connaissance de la règlementation européenne et de son caractère limité, la précision qui suit le renvoi à cette règlementation induit que le fabriquant ne garantit pas que le risque d’allergie ne puisse advenir.

En conséquence, de l’ensemble des éléments qui précèdent, le Jury est d’avis que la publicité en cause est conforme aux principes de loyauté et de véracité énoncés dans le code ICC, ainsi qu’à la Recommandation « mentions et renvois » de l’ARPP. En revanche, cette publicité n’est pas conforme à la Recommandation « produits cosmétiques » de l’ARPP en ce qu’elle utilise un dérivé du mot « allergie ».

Le présent avis sera publié sur le site internet du Jury de Déontologie Publicitaire. 

Avis adopté le vendredi 5 juin 2015 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, M. Alexandre Lallet, Vice-Président, Mmes Drecq et Moggio et MM. Benhaïm, Depincé, Lacan et Leers.