Avis JDP n°208/12 – SPORTS MÉCANIQUES – Plainte fondée

Décision publiée le 26.09.2012
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– après avoir entendu les représentants des associations France Nature Environnement et Bretagne Vivante et de l’annonceur;

– et, après en avoir délibéré,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi le 27 juin 2011, d’une plainte émanant des associations France Nature Environnement (FNE), Bretagne Vivante – SEPBN et FNE Pays de la Loire, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur de publicités en faveur de sports mécaniques à pratiquer en extérieur et proposés par la société A sur son site Internet.

Les publicités incriminées présentent, d’une part, des photographies de véhicules à moteur circulant en milieu naturel, et d’autre part, les textes publicitaires de la rubrique « environnement » qui précisent :

« Environnement : notre Espace  préservé… L’environnement au cœur de notre quotidien ? Le plan d’eau de jet ski : les turbines des VNM (jet ski) provoquent inévitablement des cavitations enrichissant de façon très importante les plans d’eau en oxygène. L’oxygénation ainsi provoquée élimine toute possibilité d’eutrophisation, les algues brunes ou vertes ne peuvent pas se développer. Les poissons bénéficient de cet apport et leur croissance est très nettement accrue. Quant aux pollutions par des rejets d’échappement, sachez que ces gaz sont volatiles et que pour exemple, l’étude de la DDASS fait notamment état d’une absence d’hydrocarbures sur mes bassins de 11 hectares et 8 hectares en eaux closes (sans bassin versant ni ruisseau) accueillant pour le premier et depuis 10 ans environ 170 jets abonnés dont une vingtaine en simultané et ce, toute l’année, pour un cumul annuel de plus de 5000 heures de fonctionnement.

L’eau est aussi qualifiée de « bonne qualité pour les eaux de baignade » vous saurez également que la faune aquatique est composée exclusivement de brochets, perches, gardons et écrevisses d’une qualité gustative exceptionnelle. 

Un dernier point lié à la floculation engendrée par les remous des turbines, la turbidité de l’eau d’une assez incroyable clarté. Le carburant utilisé est du super sans plomb 95 et les huiles consommées des moteurs 2 temps sont toutes impérativement biodégradables de synthèse.

Depuis 2006 avec l’arrivée des moteurs 4 temps à injection haute précision, la consommation à l’heure d’utilisation est descendue à 8 litres au bénéfice d’une importante diminution des rejets de CO2. Ce constat extrêmement favorable de la protection de l’environnement malgré l’utilisation soutenue des moteurs est témoin d’une réelle adaptation pour peu que l’on soit respectueux et vigilant.

Aucun indice actuel ne permet de dire que cette heureuse situation ne s’appliquerait pas à la mer, bien au contraire. Le VNM bénéfique au milieu aquatique !!. »

2.Les arguments des parties

Les associations plaignantes considèrent que les images présentant des véhicules quads en situation d’infraction aux règles de circulation des véhicules motorisés dans les espaces naturels, violent donc les règles déontologiques de l’ARPP.

A aucun moment les photographies ne montrent une quelconque trace d’une voie qui pourrait être ouverte à la circulation, et bien au contraire, elles montrent les quads circulant dans une zone humide, milieu naturel, par ailleurs caractérisé par des fonctions écologiques essentielles (régulation des eaux, lieu d’habitat et de reproduction de nombre d’espèces animales).

Ces photographies qui banalisent et valorisent une pratique contraire aux objectifs du développement durable sont donc contraires aux règles déontologiques de l’ARPP.

Concernant la présentation des impacts du jet ski sur l’environnement, les associations plaignantes considèrent que celle-ci est erronée. La présentation de l’étude d’impact de la pratique du jet ski sur l’eutrophisation des eaux est, sur beaucoup de points, contestable. L’association Bretagne vivante qui réunit de nombreux scientifiques sérieux réalisant des études sur l’environnement a été très sceptique sur les résultats présentés dans l’annonce, l’annonceur ne citant pas l’étude scientifique qui lui a permis d’arriver aux conclusions de l’annonce.

Selon les associations plaignantes, aucune étude sérieuse n’a pu aller aussi loin dans ses conclusions concernant l’impact de la pratique du jet ski. Certaines études montrent, au contraire, que la pratique du jet ski a un impact plutôt négatif sur l’environnement mais avec des résultats qui ne rassemblent pas de manière unanime la communauté scientifique. Il n’est pas d’ailleurs démontré que dans le cas des activités de l’espace en cause, l’impact de la pratique du jet ski soit réellement bénéfique pour lutter contre l’eutrophisation des eaux, que les conclusions de l’étude soient applicables à l’espèce. Assimiler le milieu aquatique marin aux eaux d’un étang est par ailleurs très contestable tant ces deux milieux diffèrent par bien des aspects (nature de l’eau, courants, niveau de pollution et dispersions de celle-ci, faune y vivant…).

L’analyse des impacts positifs du jet ski sur l’environnement ne respecte donc pas le point 2/1 de la Recommandation qui impose que l’évaluation soit globale et ne se cantonne pas à une unique propriété du produit proposé.

Les associations plaignantes ajoutent que l’annonceur conclut à un impact positif du jet ski, alors qu’il omet de présenter les effets de ce produit en matière de pollution atmosphérique (ou ne les mentionne que par le biais de la performance énergétique de ses produits), bruit, dérangements de la faune… En raisonnant ainsi, il décrédibilise complètement le discours sur le développement durable, en acceptant que n’importe quel produit, quel que soit son impact global sur l’environnement, en ayant une seule propriété positive pour l’environnement (alors même qu’en l’espèce elle n’est pas clairement démontrée) puisse être globalement positif pour l’environnement.

Elles font observer que l’annonceur est par ailleurs imprécis sur son affirmation selon laquelle il n’y a pas de traces d’hydrocarbures dans ses bassins. Il fait croire que le fait que son eau a été qualifiée de propice à la baignade est le signe d’une bonne préservation de celle-ci. Or, il n’y a pas de lien logique entre ces deux affirmations, dans la mesure où les critères de préservation de la qualité des eaux dans un bon état écologique ne sont nullement corrélés à ceux définis par la DDASS pour permettre la baignade.

De plus, une eau propice à la baignade n’est pas nécessairement propice au milieu aquatique.

La turbidité de l’eau n’est pas corrélée à la qualité écologique des eaux. Dans certains cas, cela peut même être l’inverse : une grande turbidité peut être synonyme de faiblesse de la présence de faune et flore aquatiques reflétant la pauvreté biologique d’un milieu. En raisonnant par l’absurde, il n’y a pas plus clair que l’eau de piscine à des fins de baignade, qui n’est franchement pas favorable au développement du milieu aquatique.

L’annonceur minimise l’impact de son activité sur l’environnement en mettant en avant les qualités de ses produits en matière de consommation d’énergie, pour conclure sur un « constat extrêmement favorable à la protection de l’environnement ». Toutefois, la consommation annoncée n’est comparée à aucune autre donnée et quand bien même elle serait globalement plus performante que la moyenne des véhicules similaires, il ne peut pas conclure qu’elle a un impact extrêmement favorable à la protection de l’environnement dans la mesure où il consomme du carburant. L’utilisation de l’adjectif « extrêmement » est à proscrire en ce qu’il ne relativise aucunement l’apport environnemental de l’exploitant.

La conclusion de l’annonceur (« bénéfique au milieu aquatique ») est donc mensongère car elle ne prend pas en compte l’ensemble des données écologiques. Le fait de mettre en gros caractères gras cette affirmation, à la fin d’un paragraphe qui ne permet pas d’arriver à cette conclusion, manipule clairement le lecteur.

En tout état de cause, cette annonce minimise les conséquences de l’utilisation du jet ski sur l’environnement.

La société commercialisant le projet a été informée par courrier recommandé avec avis de réception du 12 juin 2012, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée. Elle a été également informée que cette affaire ferait l’objet d’un examen lors de la séance du Jury du 6 juillet 2012. Elle a sollicité un report de la date d’examen de l’affaire et a demandé à être entendue par le Jury. La plainte a donc été examinée à la séance du 7 septembre 2012 et les deux parties entendues.

Lors de la séance, le représentant de la société a expliqué que le site présenté n’était pas naturel car il l’avait lui-même aménagé afin de pouvoir y exploiter des activités de plein air.

Il a fait valoir qu’il ignorait que les véhicules motorisés ne pouvaient être présentés autrement que sur une voie ouverte à la circulation et qu’il mettait en œuvre de nombreux efforts et travaux pour que l’activité qu’il exploite ait le moins de répercussions possibles sur l’environnement.

3.Les motifs de la décision du Jury

 Le Jury rappelle que la Recommandation «Développement durable» de l’ARPP prévoit dans son point 9 « Impacts éco-citoyens » que :

Véracité des actions

1/3 « Les actions des annonceurs et les propriétés de leurs produits dans ce domaine doivent être significatives pour pouvoir être revendiquées. »

1/4 « L’annonceur doit être en mesure de justifier les arguments ayant trait au développement durable au moyen d’éléments sérieux, objectifs et vérifiables au moment de la publicité.

Pour tout message reposant sur une allégation scientifique, l’annonceur doit être en mesure de présenter l’origine des résultats annoncés et la méthodologie ayant servi de base de calcul.

La publicité ne peut recourir à des démonstrations ou à des conclusions scientifiques qui ne seraient pas conformes à des travaux scientifiques reconnus. »

Proportionnalité des messages

2/1 « Le message publicitaire doit exprimer avec justesse l’action de l’annonceur ou les propriétés de ses produits, en adéquation avec les éléments justificatifs dont il dispose.

La réalité de ces actions ou propriétés peut s’apprécier au regard des différents piliers du développement durable, des différents types d’impacts possibles et des différentes étapes de la vie du produit. »

2/2  « Le message publicitaire doit être proportionné à l’ampleur des actions menées par l’annonceur en matière de développement durable ainsi qu’aux propriétés du produit dont il fait la promotion. »

 Clarté du message

3/6 « Tout argument de réduction d’impact ou d’augmentation d’efficacité doit être précis et s’accompagner de précisions chiffrées, en indiquant la base de comparaison utilisée. »

 Vocabulaire

6/3 « Dans le cas où il serait impossible de justifier des formulations globales (ex. : écologique, vert, éthique, responsable, préserver, équitable, durable, …), la publicité doit les relativiser en utilisant des formulations telles que “contribue à”. »

9/1 La publicité doit proscrire toute représentation susceptible de banaliser, et a fortiori valoriser, des pratiques ou idées contraires aux objectifs du développement durable. A titre d’exemple :

c/ La publicité doit éviter, dans son discours, de minimiser les conséquences de la consommation de certains produits ou services susceptibles d’affecter l’environnement.

(…)

e/ La représentation sous quelque forme que ce soit, de véhicules à moteur en milieu naturel devra clairement les positionner sur des voies ouvertes à la circulation.

Le Jury constate que certains visuels figurant sur le site de l’annonceur représentent des véhicules à moteur en mouvement dans des forêts et non sur des voies ouvertes à la circulation. Une telle représentation méconnaît le point 9-1.e de la Recommandation précitée de l’ARPP.

Par ailleurs, le Jury observe que la présentation faite sur ce site des avantages de la pratique du jet-ski pour la protection de l’environnement n’est étayée d’aucune référence à une étude scientifique ou à des références objectives consultables permettant de vérifier sa véracité.

En outre, cette présentation occulte tous les effets néfastes à l’environnement de la pratique en cause, notamment en termes de bruit, de perturbations sur la faune et de rejet de gaz d’échappement.

Cette présentation qui tend à faire penser aux usagers que la pratique du jet ski est sans conséquence sur le respect de l’environnement et qu’elle lui serait même favorable est contraire aux dispositions 2.2, 3.6, 9.1, et 9.1.c de la Recommandation précitée. Les efforts menés par l’exploitant du site, pour louables qu’ils puissent être, ne sont, en tout état de cause, pas démontrés et ne seraient pas de nature à rendre admissible le non-respect de cette Recommandation.

4.La décision du Jury

– La plainte est fondée en ce que les offres publicitaires en cause méconnaissent les points 2.2, 3.6, 9.1, 9.1.c et 9.1,e de la Recommandation Développement Durable de l’ARPP ;

– Il est demandé au Directeur général de l’ARPP de veiller à ce que ces publicités cessent et à ce qu’elles ne soient pas reconduites ;

– La présente décision sera communiquée aux associations plaignantes ainsi qu’à l’annonceur ;

– Elle sera diffusée sur le site Internet du JDP.

Délibéré le 7 septembre 2012, par Mme Michel-Amsellem, Présidente, Mmes Drecq et Moggio et MM Benhaim, Depincé, Lacan et Leers.