Avis JDP n°331/14 – VÊTEMENTS DE SPORT – Plaintes fondées

Avis publié le 28 juillet 2014
Plaintes fondées                          

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations et à prendre part

à la séance,

– après avoir entendu les représentants de la société annonceur et de son agence de communication, ainsi que la plaignante,

– et, après en avoir débattu,

rend l’avis suivant:

1.Les plaintes

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 4 juin 2014, de deux plaintes de particuliers, puis le 6 juin 2014, d’une plainte de l’association Les Chiennes de Garde, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une campagne publicitaire diffusée en presse, en faveur d’une marque de vêtements sportifs pour homme, inspirés de l’univers du rugby.

Cette campagne comporte trois publicités montrant chacune une jeune femme accomplissant une tâche de lingerie pour des vêtements de la marque.

Dans le premier visuel le sujet se tient debout et porte dans ses mains une pile de polos parfaitement pliés, le deuxième montre une autre femme tenant un fer à repasser dans une main, debout derrière une table à repasser sur laquelle est posée une chemise et, le troisième visuel montre une femme de trois-quarts, en train d’étendre du linge sur un fil.

Ces images sont accompagnées de l’accroche publicitaire, inscrite en gros caractères « For you, guys». Cette mention est traduite, sur la gauche de l’annonce, en petits caractères figurant à la verticale par « Pour vous, les mecs ».

2.Les arguments échangés

Les plaignants considèrent que cette campagne est dégradante et sexiste.

L’un des plaignants particulier ajoute qu’elle est sexiste car elle exclut les femmes: le produit s’annonce en effet comme réservé aux hommes (“for you, guys”). Elle est dégradante car elle montre la femme comme un objet et non comme un sujet. Elle vise explicitement à une différenciation des rôles et se situe dans une période où l’égalité des sexes est débattue, où les taches ménagères sont encore inégalement réparties. Ici, le positionnement ne s’encombre d’aucune gêne et annonce ouvertement que « c’est la femme pour les mecs ».

Un autre plaignant particulier ajoute que, dans le contexte actuel d’attaques de toutes parts contre l’égalité, cette publicité est « perverse car elle s’appuie sur des clichés, elle suggère, plus qu’elle ne montre, qu’un retour aux valeurs traditionnelles, serait bon “pour les mecs”, le choix du terme “guys” n’étant pas anodin.

Le choix de s’exprimer en anglais, pour faire plus “branché”, plus moderne contraste avec le message sous-jacent, qui est un retour des femmes aux tâches domestiques, à la maison. C’est une option sournoise, qui, inconsciemment, en dit beaucoup.

Selon cette plainte, cette publicité, qui véhicule des stéréotypes sexuels, ne peut qu’avoir un effet négatif sur la parité et l’égalité de traitement. Indirectement car il n’est pas dégradant de s’occuper du linge, y compris de toute la famille. La soumission est suggérée avec une violence symbolique d’autant plus forte qu’elle reste de l’ordre du non-dit.

L’association Les Chiennes de Garde souligne que les trois affiches de cette campagne mettent en scène, avec le slogan “for you, guys” (“Pour vous, les mecs”), des jeunes femmes plutôt sexy, à la mode et avec un regard qui montre leur fierté d’étendre le linge et de repasser les chemises de leurs « mecs ».

Ce stéréotype sur les tâches ménagères a la vie dure, bien qu’il soit l’un des vieux clichés du monde et donc tout à fait ringard. Les hommes de la marque sont des “gentlemen virils” et leurs femmes sont décrites (dans le communiqué de presse de la marque) comme « des compagnes, des épouses… contemporaines, amoureuses, joueuses, [qui] assument de se montrer comme on ne les voit plus jamais, en train d’effectuer des tâches ménagères. ». La marque, qui a certainement voulu ainsi créer un « bad buzz » comme d’autres, fait revêtir à ses clients l’habit du parfait macho décomplexé. L’association précise que les femmes font toujours 80% des tâches ménagères et ce type de publicité esthétise l’exploitation du travail gratuit des femmes.

L’association Les Chiennes de garde expose que ce sexisme n’est certainement pas conforme aux valeurs du rugby, et demande le retrait de cette campagne de publicité.

La société annonceur indique qu’à l’heure où la société et les rapports homme/femme sont en pleine mutation et où des questions sur l’identité masculine font l’objet d’un débat de société, la marque a souhaité s’inscrire dans ce débat et s’adresser aux femmes qui sont l’essentiel de sa clientèle, venues acheter des vêtements pour « leurs hommes, leurs époux ou leurs compagnons ».

Elle fait valoir que les visuels des femmes présentent des femmes indépendantes et qui le revendiquent. C’est donc précisément ce à quoi ressemble l’homme qui est client de la marque : respectueux et élégant tout en ayant un sens de la convivialité et de l’humour.

Le slogan « For You, Guys » doit être interprété comme: « Pour vous, Clients … », et a été traduit dans les annonces par « Pour vous, les mecs » afin de renforcer l’idée de l’homme fidèle aux valeurs du rugby: fort, courageux et loyal.

En aucun cas, elle n’a voulu manquer de respect aux femmes, porter atteinte à leur dignité ni les dévaloriser dans la mesure où le respect et l’intégrité sont ses valeurs fondamentales.

La femme représentée dans cette campagne a un rôle important, celui de prescriptrice. La société annonceur estime donc que les visuels critiqués ne portent pas atteinte à la dignité des femmes.

L’agence de communication ajoute que la campagne a été diffusée en presse sous la forme de plusieurs annonces. Ces visuels présentent des jeunes femmes libres, séduisantes et déterminées qui assument leur attitude aux côtés d’hommes virils.

Les médias mettent actuellement l’accent sur un phénomène social et sociétal : la quête de la nouvelle identité masculine relayée par la presse, qu’elle soit féminine ou d’information. Les territoires justement conquis par les femmes semblent entraîner par conséquent une perte des repères pour les hommes, jusqu’à remettre en question la masculinité.

Dans ce contexte délicat où les frontières identitaires des femmes et des hommes semblent floues et en pleine évolution, la marque  a souhaité questionner ce phénomène et mettre en évidence une réalité:

Les hommes perdus dans cette nouvelle ère attendent de voir des femmes déterminées, féminines et indépendantes mais vont également apprécier de constater qu’elles peuvent être attentionnées,

Les femmes revendiquent leur liberté ainsi que leur indépendance mais consentent également et de façon délibérée à s’occuper de « leur homme ».

L’agence fait valoir que la stratégie de la marque est donc d’oser mettre en scène une posture classique revisitée par l’évolution des mœurs et de nos sociétés, des femmes libres et modernes qui consentent à certaines concessions dans leur vie de couple.

Par conséquent, le concept de cette campagne n’est pas de heurter les femmes en les dévalorisant et les présentant en ménagère, mais de présenter des femmes de caractère, réfléchies, assumant les différentes facettes de leurs personnalités: libre, indépendante et

attentionnée. La volonté de cette campagne n’est pas d’opposer les hommes et les femmes pas plus que de les dévaloriser, mais d’illustrer une relation de couple faite de réalisme, de maturité et d’humour.

Cette campagne n’a pas pour but également d’exclure les femmes et n’a pas la prétention de projeter une quelconque image de la femme dans le monde. Le propos de la campagne n’est pas de présenter la femme d’un homme de la marque comme une ménagère.

Ainsi, selon l’agence, ces publicités ne sont pas sexistes, dans la mesure où elles ne cautionnent nullement l’idée d’une infériorité de l’homme ou de la femme mais plutôt d’un rapport assumé et mature entre un homme et une femme.

La société éditrice du support de diffusion fait valoir que la conception et la réalisation de cette publicité sont le seul fait de l’annonceur. Elle n’y a pris aucune part, pas plus que sa régie publicitaire. Son rôle s’est limité à diffuser cette publicité qui ne lui est pas apparue contraire à la réglementation en vigueur ou à la recommandation de I’ARPP relative à l’image de la personne humaine.

Le groupe de presse, fait valoir, pour le compte de sa filiale, qu’il n’a, en tant que support, aucune influence sur le contenu des campagnes publicitaires, laquelle ne lui a pas paru contraire à la déontologie publicitaire et aux Recommandations de I’ARPP, notamment celle intitulée « image de la personne humaine ». Il estime que la campagne, objet des plaintes, ne porte pas atteinte à la dignité ou la décence en ce qu’elle ne représente pas la femme de manière à heurter la sensibilité du public, car les jeunes femmes photographiées sur les deux visuels de la campagne sont représentées de manière décente.

3.L’analyse du Jury

La Recommandation « Image de la personne humaine » de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) dispose, notamment, dans l’article 2 relatif aux « Stéréotypes sexuels, sociaux et raciaux » que:

« La publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet ».

« La publicité ne doit pas cautionner l’idée de l‘infériorité d’une personne en raison de son appartenance à un groupe social, notamment en réduisant son rôle et ses responsabilités dans

ta société. L ‘expression de stéréotypes, évoquant tes caractères censés être représentatifs d’un groupe social, ethnique, etc., doit tout particulièrement respecter les principes développés dans la présente Recommandation. »

Le Jury relève que les jeunes femmes, sujet des publicités critiquées par la plainte, sont toutes

maquillées et habillées de façon sophistiquée. Elles regardent toutes l’objectif avec naturel et assurance. Il se dégage de ces photos l’idée que, si elles sont en train d’accomplir une tache ménagère, ce qui en soi n’a rien de dégradant, elles ne le font ni par obligation, ni par devoir.

Leur demi-sourire ironique donne à penser qu’elles sont pleinement maîtresses de leur vie et de leurs actes.

Le slogan « For you, guys» traduit par « Pour vous les mecs » appliqué à une marque de vêtements que les détenteurs souhaitent associer à la virilité assumée s’interprète clairement comme visant les produits de la marque, représentés dans les visuels, et non la femme. Cette publicité ne montre donc pas la femme comme un objet.

Dans ces conditions, le Jury de déontologie publicitaire est d’avis que la en cause n’est pas contraire aux dispositions des points 2/1 et 2/3 de la Recommandation « Image de la personne humaine» de I’ARPP.

Le présent avis sera publié sur te site internet du Jury de Déontologie Publicitaire.

Avis adopté le vendredi 4 juillet 2014 par Mine Michel-Amsellem, Présidente, M. Lallet, Vice-Président, Mmes Drecq et Moggio ainsi que MM. Benhaïm, Carlo, Depincé, Lacan et Leers.