Avis JDP n°335/14 – SERVICES DE COVOITURAGE – Plaintes partiellement fondées

Avis publié le 29 septembre 2014
Plaintes partiellement fondées                          

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations et à prendre part à la séance,

– et, après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1.Les plaintes

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, les 23, 24 et 28 juin 2014, de trois plaintes de particuliers, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une campagne publicitaire diffusée sur Internet, notamment sur les réseaux sociaux Twitter et Facebook, en faveur d’un site internet de co-voiturage.

Cette campagne comporte quatre publicités :

Le premier visuel, principalement mis en cause par les plaintes, montre deux jeunes femmes riant, assises sur le dossier de la banquette arrière d’un véhicule cabriolet, en tenue d’été, les bras en l’air, accompagné du texte « Elles sont bonnes mais qu’est-ce qu’elles sont connes ! ».

Le deuxième présente des jambes de femme chaussées de sandales à talons aiguilles sortant par la vitre avant gauche d’un véhicule avec le texte « toutes les deux heures une pause s’impose ».

La troisième image est celle d’une femme âgée souriante, au volant d’un véhicule suivie du texte « accompagner Audette pour son dernier voyage ».

La quatrième photographie présente une femme tenant le volant d’une voiture des deux mains, l’air effrayé, avec le texte « Même les femmes sont autorisées à conduire ».

Ces images sont toutes accompagnées de l’accroche publicitaire « … voyagez autrement ».

2.Les arguments échangés

Les plaignants considèrent que cette campagne est sexiste et injurieuse. Ils critiquent la présentation de stéréotypes dégradants pour les femmes.

La société de communication, qui a réalisé la campagne, fait valoir que celle-ci a été déclinée autour de quatre thèmes, sur un ton qui se voulait humoristique et au « second degré ».

Sur le visuel « Même les femmes sont autorisées à conduire », la société explique avoir voulu communiquer sur un stéréotype qu’elle ne cautionne pas et souhaitait suggérer que sur eco-voiturage, quoi que l’on pense de la façon de conduire des uns et des autres, chacun est bienvenu.

Sur le visuel « Accompagner Audette pour son dernier voyage », elle indique que le message devait communiquer l’idée qu’une personne âgée qui ne se sent plus la force de conduire à l’avenir pourrait faire appel à un service de co-voiturage pour effectuer son dernier trajet en voiture, et ainsi rechercher une certaine forme de convivialité pour rompre la solitude. Le message « Voyagez autrement » est une façon d’interpeller sur le sujet.

S’agissant du visuel « Toutes les deux heures, une pause s’impose », le message était de rappeler que, même en co-voiturage, une pause doit être effectuée toutes les deux heures, pour des raisons de sécurité. Le message « Voyagez autrement » incite à respecter cette pratique.

Enfin, pour le visuel « Elles sont bonnes mais qu’est ce qu’elles sont connes », la société  voulait dénoncer les co-voitureurs qui utilisent ce type de service pour ne s’intéresser qu’au physique des personnes rencontrées. Elle précise qu’elle ne cautionne évidemment pas cette attitude, mais que, néanmoins, sur le site de l’annonceur, il est possible de consulter les avis et portraits des membres avec qui le trajet va s’effectuer pour être rassuré.

Concernant le suivi de la campagne, la société indique avoir tenu compte des commentaires laissés par la communauté des utilisateurs Facebook sur ces visuels et pris en considération leurs demandes. Ainsi, dès réception des premières réactions négatives, elle a décidé de supprimer les visuels le 24 juin. Elle a réalisé que le caractère humoristique et “second degré” de la campagne n’avait pas été compris et a donc décidé de publier un message d’excuses à l’attention de la communauté.

3.L’analyse du Jury

La Recommandation « Image de la personne humaine » de l’ARPP dispose, notamment, dans l’article 2 relatif aux « Stéréotypes sexuels, sociaux et raciaux » que :

« La publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet ».

« La publicité ne doit pas cautionner l’idée de l’infériorité d’une personne en raison de son appartenance à un groupe social, notamment en réduisant son rôle et ses responsabilités dans la société. L’expression de stéréotypes, évoquant les caractères censés être représentatifs d’un groupe social, ethnique, etc., doit tout particulièrement respecter les principes développés dans la présente Recommandation. »

Le Jury relève que le visuel portant le slogan « Elles sont bonnes mais qu’est-ce qu’elles sont connes » donne par ce slogan et par la photo qu’il accompagne, une image des femmes réduites à un rôle d’objet sexuel. Le visuel portant le slogan « Même les femmes sont autorisées à conduire » repose, quant à lui, sur un stéréotype selon lequel les femmes seraient moins bonnes conductrices que les hommes et seraient, de plus, dangereuses, qui induit l’idée d’une infériorité des femmes par rapport aux hommes.

Dans aucun de ces visuels ou leurs slogans n’apparaît la moindre mise à distance, ni la prétendue désapprobation de tels stéréotypes par l’annonceur.

En revanche, le slogan « accompagner Audette pour son dernier voyage », qui joue de façon ironique sur la signification des termes « dernier voyage », communément utilisés pour désigner l’enterrement d’une personne, quelle que soit sa connotation particulièrement désagréable s’agissant de la présentation  d’une personne âgée, ne contrevient à aucune disposition précise contenue dans les Recommandations de l’ARPP.

Enfin, le visuel des jambes de femme sortant par la vitre d’un véhicule ne permet pas à lui seul de déduire l’idée d’une relation sexuelle tarifée, cette position suggérant davantage la pause recommandée par la sécurité routière. Il ne contrevient pas à la Recommandation précitée.

Au regard de ce qui précède, le Jury de déontologie publicitaire est d’avis que les publicités portant les slogans « Elles sont bonnes mais qu’est-ce qu’elles sont connes » et « Même les femmes sont autorisées à conduire », diffusées pour le service de co-voiturage en cause ne respectent pas les dispositions des articles 2/1 et 2/3 de la Recommandation « Image de la personne humaine» de l’ARPP.

Le Jury prend acte du retrait de ces publicités.

Le présent avis sera publié sur le site internet du Jury de Déontologie Publicitaire.

Avis adopté le vendredi 12 septembre 2014 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, M. Lallet, Vice-Président, Mmes Drecq et Moggio ainsi que MM. Benhaïm, Carlo, Lacan et Leers.