Avis JDP n°409/16 – DECORATION/INSTALLATION – Plainte fondée

Avis JDP n°409/16
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • et, après en avoir débattu dans les conditions prévues par l’article 12 du règlement intérieur,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 21 janvier 2016, d’une plainte émanant d’un particulier, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité en faveur d’une société fabricant d’escaliers, diffusée sous forme de publipostage.

Cette publicité, sous forme de carte à l’occasion de la nouvelle année, montre au recto l’intérieur d’une maison dans lequel est présenté un escalier. Ce visuel est traversé par une fermeture éclair de couleur orange, qui s’entrouvre, à la manière d’un décolleté, sur une poitrine de femme vêtue d’un soutien gorge rouge.

Le texte accompagnant cette image est « Nos devis sont gratuits, nos tarifs sont parmi les moins chers du marché et nous proposons un service inoubliable… Vous souhaitez un RDV ? »

Au verso de la carte, la même fermeture éclair s’ouvre sur l’image d’un artisan travaillant le bois et comporte les coordonnées de l’entreprise ainsi qu’un aperçu d’une page de son site internet.

2. Les arguments échangés

– Le plaignant considère que cette publicité utilise le corps de la femme en totale inadéquation avec l’objet de la publicité qui est l’installation d’escaliers.

– La société annonceur a été informée, par courrier recommandé avec avis de réception du 29 janvier 2016, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée. Elle a été également informée que cette affaire ferait l’objet d’un examen dans le cadre de la procédure simplifiée prévue à l’article 12 du règlement intérieur du Jury.

La société indique que cette publicité figure uniquement sur une carte de vœux envoyée à ses partenaires et prospects du bâtiment, dans la région Nord-Pas-de-Calais Picardie.

Son représentant rappelle que la société est un fabricant d’escaliers, évoluant dans l’univers très machiste du bâtiment, où existe une culture propre à ce domaine, proche de celle de l’univers des routiers. Cet univers n’est pour autant pas sexiste et ne reflète pas un manque de respect, ni une vision négative ou chosifiée de la femme. Il comprend cependant que la publicité en cause puisse être difficile à comprendre ou à accepter, pour quelqu’un ne faisant pas partie de ce milieu.

Il souligne que la société est une PME dirigée par une femme, que la directrice générale est également une femme,  de même que 80% de ses cadres. Il indique que cette campagne est née de l’idée d’une femme, l’intention étant de faire sourire les partenaires et prospects du bâtiment, en jouant simplement sur le cliché macho de l’univers dans lequel se situe l’entreprise, sans aucune arrière-pensée. La carte de vœux est humoristique, comme l’indique le texte qui l’accompagne, personne ne pouvant croire qu’une femme en soutien-gorge sera envoyée chez les clients pour installer un escalier.

L’annonceur estime que la plainte, elle-même, porte atteinte au droit à l’originalité, à l’humour et à l’expression artistique, alors que la publicité doit rester un espace de libre expression, d’audace et d’impertinence, loin de toute forme de censure.

Elle explique que l’intention n’a pas été d’avilir ou abimer l’image de la femme dans l’entreprise, dirigée par des femmes et elle souligne que la carte ne peut pas être considérée comme choquante, quand une seule face présente une poitrine  peu visible, revêtue d’un soutien-gorge qui n’est pas vulgaire. La nudité n’est ni présente, ni suggérée. L’image est d’ailleurs fortement zoomée et l’on voit plus le creux de la poitrine. La poitrine occupe d’ailleurs moins de 15% de l’image. Le visuel n’a donc rien de provoquant. Il ne porte pas atteinte à la dignité ou à l’image humaine, l’objectif étant au contraire de rendre hommage aux femmes travaillant dans la société et la dirigeant, une exception dans ce métier. La société ajoute qu’il ne s’agit nullement d’avilir l’image de la femme, mais d’humour potache. Ni le texte accompagnant l’image, qui rappelle simplement que les devis sont gratuits et que les escaliers sont parmi les moins chers du marché, ni l’image en elle-même, à savoir une poitrine portant un soutien-gorge, ne sont avilissants ni n’incitent à quoique ce soit de dégradant ou d’illégal.

Elle indique encore que très peu de personnes ont été ciblées : cette carte de vœux, dont la diffusion a duré environ une semaine, n’a visé que les partenaires de l’entreprise et prospects du monde du bâtiment et donc des personnes plutôt habituées à cet humour. Elle oppose qu’elle a eu un retour très positif à propos de ces vœux ainsi que de nouveaux contacts qui vont permettre de faire travailler une cinquantaine de familles, les salariés de la société, dans une région, le Nord Pas-de-Calais, très touchée par le chômage et dans un secteur sinistré comme l’est le bâtiment.

Elle demande toute l’indulgence du Jury, compte tenu de la faible diffusion de la carte – cette diffusion n’ayant d’ailleurs duré qu’une semaine –, de ce qu’elle ne comporte pas de nudité, de l’absence totale d’arrière-pensées dégradantes, et enfin de l’impact économique sur une simple PME.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image de la personne humaine » de l’ARPP dispose en son point 2 que :

« 2.1 La publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet. ».

Le Jury relève que la publicité en cause, qui figure sur une carte de vœux diffusée pendant une semaine aux clients et prospects de l’annonceur, montre, au premier plan, une fermeture éclair s’ouvrant sur une poitrine de femme vêtue d’un soutien-gorge rouge, et en arrière-plan un intérieur avec un escalier ; ce visuel est accompagné du slogan « Nos devis sont gratuits, nos tarifs sont parmi les moins chers du marché et nous proposons un service inoubliable… »

Cette présentation utilise ainsi le corps de la femme comme faire valoir d’un produit qui est sans rapport avec le corps. En outre, l’association du visuel et du slogan évoque explicitement l’univers de la prostitution. Par ces procédés, cette publicité réduit la femme à la fonction d’objet sexuel sans qu’importe qu’elle ne montre pas la nudité.

L’intention humoristique de l’annonceur et le fait que des femmes puissent être à l’initiative de cette idée publicitaire sont, de même, sans portée sur l’appréciation du respect des principes déontologiques que la profession s’est engagée à respecter.

En conséquence de ce qui précède, le Jury est d’avis que la publicité en cause méconnaît le point 2.1 de la Recommandation précitée.

Avis adopté le vendredi 11 mars 2016 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, Mme Sophie-Justine Lieber, Vice-Présidente, Mmes Drecq et Moggio et MM. Benhaïm, Carlo, Depincé, Lacan et Leers.