Avis JDP n°355/15 – SITE INTERNET DE RECRUTEMENT – Plainte fondée

Avis publié le 21 janvier 2015
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,

– après avoir entendu les représentants des sociétés annonceur et plaignante,

– et, après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi le 25 novembre 2014 d’une plainte d’une société de recrutement, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité diffusée dans un guide pour étudiants, par la société concurrente pour son site internet.

Cette publicité présente ce site internet comme étant « Le site leader du recrutement juridique ».

2.Les arguments échangés

La société plaignante considère que cette publicité méconnaît les principes de véracité et de loyauté  prévus par le code ICC consolidé sur les pratiques de publicité et de communication commerciale ainsi que la Recommandation « Vocabulaire publicitaire » de l’ARPP.

Elle explique qu’elle même édite, depuis 1997, un site qui permet aux professionnels de la communauté juridique d’échanger des informations et qui comporte une partie importante dédiée au recrutement. Ce site est en concurrence avec celui édité par l’annonceur pour le recrutement de personnel juridique.

La société expose encore que le guide en cause a été publié le 29 septembre 2014, qu’il est, depuis lors, librement disponible et téléchargeable sur le site internet du petit Juriste ainsi que sur le moteur de recherche Google. Les consommateurs ont, par là même, un accès constant à cette publicité, laquelle est, en outre, reprise en substance sur le site  dans une fenêtre s’affichant automatiquement à l’ouverture de la page d’accueil qui indique que « X  consolide sa place de site leader de l’emploi et de la communication dans le secteur juridique ».

Elle indique qu’en réponse au courrier qu’elle a adressé à la société annonceur pour lui demander le retrait de ce message, celle-ci lui a répondu qu’elle pouvait objectivement prétendre être le premier site de recrutement juridique au regard de son audience sur les réseaux sociaux.

La société plaignante fait valoir que le critère du nombre de « likes » ou de membres sur les réseaux sociaux, dont se prévaut la société annonceur, n’est pas pertinent pour mesurer la performance de la place de « numéro 1 » annoncée en matière de recrutement juridique car les « likes » ne sont pas des données objectives permettant d’être qualifié de leader, d’autant que ceux-ci peuvent être achetés.

Selon elle, les seuls éléments qui permettent d’apprécier si un site de recrutement est leader ou non, sont l’audience du site, le nombre d’annonces publiées, la pertinence des offres, le choix et les mises à jour régulières et le nombre d’emplois effectivement générés par la mise en relation de ces annonces.

D’autre part, la société plaignante fait valoir que la publicité en cause est déloyale envers les consommateurs, la déloyauté résultant de l’absence de véracité de ce message. Prétendre être le « leader » alors que cette allégation ne peut être justifiée par aucun élément objectif est nécessairement trompeur vis-à-vis du consommateur. Selon elle, la société annonceur, qui a parfaitement connaissance du fait que ce message ne reflète pas la réalité, a abusé de la confiance du consommateur pour attirer les candidats et les entreprises, ou les sociétés de recrutement, en prétendant faussement être le « leader du recrutement juridique ».

La société annonceur été informée par courrier recommandé avec avis de réception du 9 décembre 2014 de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle oppose qu’elle est une filiale d’un groupe, active dans le secteur des professions juridique et que, depuis sa création en 2011, le site s’est développé très rapidement. Elle indique avoir connu une croissance très importante en trois ans (croissance du chiffre d’affaires de plus de 300%, ouverture d’activité en Belgique, Luxembourg et prochainement au Maroc, Canada et Suisse).

Elle expose qu’au 21 décembre 2014, la page sur Facebook bénéficiait de 27.900 likes et une portée de 44.400 personnes touchées quotidiennement, de 45.707 likes sur la page « Le Petit Juriste » et une portée de 185.588 personnes touchées quotidiennement, de 6.000 likes sur la page « orientation et formations juridiques » sur Facebook, de près de 2.798 likes sur la page « FindyourLLM » sur Facebook appartenant au site, de 6.064 « suiveurs » sur le twitter, de 12.100 « suiveurs » sur le twitter de la page X, de 5.301 personnes sur la page LinkedIn officiel de X, de 2.439 personnes sur la page LinkedIn X « emploi juridique » et de 3.626 contacts sur Viadéo. En comparaison, la société plaignante ne dispose que de 3.182 personnes sur Facebook (contre plus de 80.000 pour X), de 9.284 abonnés sur twitter (contre plus de 18.000 pour Carrières-Juridiques.com), ne dispose d’aucune page sur LinkedIn ni Viadéo (pourtant les deux réseaux majeurs des professionnels, dont les professionnels du droit).

Elle estime que la présence sur les réseaux sociaux est un critère primordial en 2014, ces derniers ayant pris une part considérable dans le quotidien des utilisateurs d’internet.

Les contenus (annonces emploi, articles, pages de présentation des recruteurs majeurs du secteur juridiques), très “viraux”, sont diffusés à plus de 100.000 personnes chaque jour à travers tant les réseaux sociaux traditionnels (Facebook, Twitter, Google+) que les professionnels (Linkedin, Viadéo).  Ainsi, les réseaux sociaux étant devenus très importants, les personnes abonnées aux pages de la société annonceur et ses comptes ont autant d’importance que le trafic d’un site internet.

Elle considère que les éléments d’appréciation du leadership d’un site d’emploi doivent être davantage basés sur la qualité que la quantité en termes de référencement d’annonces. Selon elle, le nombre d’annonces importe peu lorsqu’elles sont issues de méta-moteurs, de robots, ou d’annonces massives de cabinets de recrutement comme c’est le cas pour le site. A l’inverse, le site X privilégie le recrutement « direct » où seules des personnes physiques gèrent les recrutements directement via la plateforme, ce qui garantit une grande qualité du service. Elle expose que contrairement à ce que soutient la société plaignate, elle dispose de plus de 1.700 recruteurs sur sa plateforme qui utilisent les services de dépôt d’annonces (1.965 ces 6 derniers mois) ou de consultation de sa « candidathèque ».

La société annonceur fait aussi valoir que les services rendus par les sites internet sont également primordiaux pour juger de la qualité ou de la position d’un site internet et qu’elle offre pour sa part des outils performants au service des recruteurs :

– Outil de classement par pertinence des candidatures par rapport aux offres via un algorithme créé par ses soins. Aucun de ses concurrents ne dispose d’un tel outil ;

– Alertes adaptés aux candidats en fonction de leurs profils ;

– Fonctionnalités « réseaux sociaux » de partage des contenus, et d’abonnement aux flux des recruteurs ;

– Rapports de performance pour chaque recruteur du site et chaque employeur disposant d’une page de présentation. Aucun de ses concurrents ne dispose d’un tel outil.

Par ailleurs, la société précise que le site propose de nombreux services utiles au recrutement comme des formations initiales, des annuaires de formations, uniques sur le marché, la « JobFair Virtuelle » permettant aux recruteurs de communiquer sur leur marque employeur.

Elle ajoute que ce site est le partenaire unique et exclusif de nombreux évènements juridiques et judiciaires, et qu’il a été choisi pour son professionnalisme, notamment, par l’école de Formation du Barreau de Paris, ainsi que par plusieurs éditeurs juridiques et qu’il dispose de relais de diffusion d’annonces sur plusieurs sites, permettant aux candidats d’être touchés autrement que par sa plateforme, comme par exemple, l’association des Elèves-Avocats de l’école de formations des barreaux de Paris.

Pour l’ensemble de ces raisons, elle considère qu’il est légitime de présenter le site  en position de leader, sans tromper les consommateurs.

Concernant la loyauté de la publicité, la société annonceur estime avoir fait la démonstration du caractère véridique de son allégation et elle se dit prête, sur demande du Jury, à faire un renvoi sur la publicité sur une page contenant l’ensemble des informations développées dans sa réponse afin de donner tous les éléments au lecteur du message pour qu’il puisse en apprécier la véracité.

3.L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que le code ICC consolidé sur les pratiques de publicité et de communication commerciale dispose, en son article 1er, que toute communication commerciale doit être « loyale et véridique ».

L’article 5 du même code précise que « la communication commerciale doit être véridique et ne peut être trompeuse. / [Elle] ne doit contenir aucune affirmation, aucune assertion ou aucun traitement audio ou visuel qui soit de nature, directement ou indirectement, par voie d’omissions, d’ambiguïtés ou d’exagérations, à induire en erreur le consommateur, notamment, mais pas exclusivement, en ce qui concerne : / – des caractéristiques du produit qui sont essentielles, ou en d’autres termes, de nature à influencer le choix du consommateur, telles que (…) l’efficacité et les performances (…) ».

D’autre part, la Recommandation « Vocabulaire publicitaire » de l’ARPP dispose que :

 « 1. La publicité, sous quelque forme que ce soit, qui utilise le type de vocabulaire défini ci-dessous mérite une attention particulière et doit donc respecter les règles déontologiques suivantes :

Le premier, le meilleur, le numéro 1, le spécialiste,… Toutes ces locutions présentent le double inconvénient d’être vagues et de prêter facilement à la contestation. Par exemple “le premier” peut se référer soit à une antériorité dans le temps, soit à une première place due au chiffre d’affaires.

L’expérience montre que l’emploi de ces allégations provoque généralement des réclamations fondées sur la concurrence déloyale et la publicité de nature à induire en erreur.

L’utilisation de ces termes ou de tout terme analogue est donc à éviter lorsque l’annonceur n’est pas en mesure de prouver qu’ils correspondent à une réalité précise.

Lorsqu’une justification peut être apportée, il est recommandé de corriger le caractère vague et général de la formule en précisant en quoi la prestation ou le bien possède la qualité qu’on lui attribue. ».

Le Jury relève que la publicité en cause revendique que son site est « Le site leader du recrutement juridique ». Dans le vocabulaire courant, et en l’absence de toute mention ou renvoi énonçant le ou les critères utilisés à l’appui de cette allégation, ce qualificatif signifie que le site occupe la première place dans la concurrence avec les autres, soit en termes de parts de marché, soit en termes d’audience auprès des consommateurs.

Le Jury précise à cet égard qu’il ne lui appartient pas de rechercher si une société est effectivement « leader » sur son marché. Il doit seulement s’assurer, au vu des éléments qui lui sont fournis, que l’entreprise qui se prévaut de cette qualité est en mesure de démontrer que cette allégation répond à une réalité précise. En l’absence d’une telle démonstration, et dans le doute, il y a lieu de considérer qu’une telle allégation est contraire aux règles déontologiques précitées.

En l’occurrence, l’audience dont se prévaut la société annonceur exprimée en « likes » sur Facebook, en « suiveurs » sur Twitter, en contacts sur Viadéo, ou en personnes sur Linkedin, ne donne qu’une mesure du nombre de personnes qui ont apprécié le site, voire qui l’ont regardé au moins une fois, mais nullement de celles qui l’ont utilisé et pour lesquelles un recrutement s’est réalisé, ni même du nombre d’annonces qu’il comporte. En outre, le fait que le site concurrent utiliserait peu les réseaux sociaux n’apporte pas, en soi, la démonstration de ce que le site concurrent, qui est davantage présent sur ces réseaux, serait de façon générale « leader » des sites de recrutement juridique.

Par ailleurs, le mode d’accomplissement du recrutement qui serait effectué par des personnes physiques pour le site, ce qui, selon la société annonceur, garantirait une grande qualité du service qui serait ainsi préféré par un nombre significatif de personnes, n’est justifié ni sur le site, ni par aucun des éléments produits par la société annonceur et n’est pas davantage de nature à démontrer que son site serait « leader ». S’agissant des prestations de service, liées au recrutement (Outil de classement par pertinence des candidatures, Alertes adaptés aux candidats en fonction de leurs profils, Fonctionnalités « réseaux sociaux » de partage des contenus, et d’abonnement aux flux des recruteurs et rapports de performance pour chaque recruteur du site), la société annonceur n’apporte aucun élément qui pourrait permettre de constater que ces services lui auraient permis de recruter un nombre d’abonnés ou d’utilisateurs supérieur à ceux des sites Internet concurrents.

Enfin, son offre de prestations relatives à la formation ne concerne pas le recrutement et ne peut donc venir au soutien de l’allégation litigieuse.

En conséquence, la société annonceur n’a pas, devant le Jury de déontologie, apporté d’éléments justifiant que l’allégation selon laquelle son site est « le site leader du recrutement juridique » correspond à une réalité précise.

Cette communication commerciale apparaît en conséquence, sur ce point, de nature à induire en erreur le consommateur sur des caractéristiques du service qui peuvent influencer son choix.

Le Jury est, au regard de l’ensemble de ces éléments, d’avis que la publicité en cause n’est pas conforme aux dispositions précitées.

Le présent avis sera publié sur le site internet du Jury de Déontologie Publicitaire.

Avis adopté le vendredi 9 janvier 2014 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, M. Lallet, Vice-Président, Mmes Drecq et Moggio et MM. Benhaïm, Carlo, Depincé, Lacan et Leers.