Avis JDP n°331/14 – DISTRIBUTION ALIMENTAIRE BIO – Plainte fondée

Avis publié le 29 septembre 2014
Plainte fondée                            

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations et à prendre part à la séance,

– après avoir entendu les représentants de la Fédération des Entreprises de la Beauté (FEBEA), de l’agence de communication et de l’annonceur,

– et, après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1.La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 20 juin 2014, d’une plainte émanant de la Fédération des Entreprises de la Beauté, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité diffusée en presse, en faveur d’un enseigne de distribution de produits alimentaires Bio.

Cette publicité montre, à droite, une cloche de verre sous laquelle se trouve une fleur et, à gauche, un pot de verre ouvert rempli de crème. Entre les deux sont représentés de manière stylisée, dans des couleurs rose et violette, des installations industrielles ainsi que divers procédés chimiques et équipements techniques, dont des tuyaux plongés dans le pot de crème.

Cette image est accompagnée de l’accroche publicitaire, inscrite en majuscules et en gros caractères : « N’achetez pas de cosmétiques », suivie, en plus petits caractères, de  « (Non bio ou non écologiques) ».

Au bas de la publicité, figurent :

Un encadré faisant état de ce que : « les cosmétiques conventionnels peuvent contenir jusqu’à / 15% de DST (famille des silicones) / jusqu’à 25% de parabènes / et parfois seulement 1% de principes actifs », chacune de ces mentions renvoyant à un texte explicatif présent en tous petits caractères au bas de la page ;

Et le texte : « Achetons responsable. Chez X, notre responsabilité sur l’écosystème est une priorité.  C’est pourquoi nous privilégions des produits cosmétiques écologiques ou bio, sans parabènes ni silicone et avec un maximum d’ingrédients naturels », suivi du logo de la marque.

2.Les arguments échangés

La Fédération des Entreprises de la Beauté (FEBEA) indique à titre liminaire qu’elle représente les intérêts de l’industrie de la cosmétique et de la parfumerie.

Elle considère que la publicité dont elle se plaint contrevient à la Recommandation « Produits cosmétiques » et à la Recommandation « Allégations santé » de l’ARPP, qui est applicable dès lors que la publicité suggère un lien avec la santé et que les produits cosmétiques constituent des produits de santé. Plus précisément, elle soutient que cette publicité méconnaît quatre principes issus de ces recommandations :

Le principe de véracité, posé par la Recommandation « Allégations santé » : la publicité incriminée précise que « les cosmétiques conventionnels contiendraient jusqu’à 25% de parabènes » alors que, aux termes de la réglementation en vigueur dans l’industrie cosmétique, la concentration en parabènes est limitée dans tout produit cosmétique à 0,8 %. Cette concentration est strictement contrôlée par les autorités de contrôle que sont la DGCCRF et l’ANSM, les produits non conformes étant passibles d’un retrait immédiat du marché ; l’extrême rareté de tels retraits (1 à 2 par an maximum) démontre le respect de la réglementation par la quasi-totalité des produits.

Le principe d’objectivité issu de la même Recommandation : en l’espèce, le message véhiculé par cet annonceur est amplifié par le visuel utilisé montrant qu’il existe entre un pot de crème, destiné au consommateur, et une fleur de tiaré « naturelle », une multitude de transformations et d’ajouts néfastes pour la santé du consommateur. Il apparaît clairement  que cette publicité a pour objet de dissuader les consommateurs d’utiliser des produits cosmétiques non bio ou écologiques au motif qu’ils seraient nuisibles pour la santé. Or le procès industriel utilisé pour la fabrication des cosmétiques, qu’ils soient bio ou non, est le même. Seuls changent les ingrédients, qui sont majoritairement naturels dans les premiers.

Le principe de loyauté, posé par cette même Recommandation « Allégations santé », selon lequel la publicité ne doit pas dénigrer d’autres produits en impliquant que ceux-ci sont incapables de contribuer à une bonne santé.

Enfin, le principe de concurrence, issu de la Recommandation « Produits cosmétiques », en vertu duquel « les messages ne doivent pas être construits sur des arguments dénigrants visant un ou des produits concurrents ».

L’agence de communication et la société annonceur font valoir que la Recommandation « Allégations santé » invoquée par la FEBEA ne trouve pas à s’appliquer dans cette situation.

En effet, elle ne s’applique qu’aux allégations santé, définies comme « toute indication ou présentation publicitaire établissant ou suggérant un lien entre un produit et la santé ». Or la publicité mise en cause ne comporte aucune allégation de cette nature. Le message véhiculé est exclusivement d’ordre écologique ou environnemental, comme le montrent aussi bien le visuel que le texte faisant état de la « responsabilité sur l’écosystème » de la marque. L’idée publicitaire ainsi retranscrite vise à mettre en avant le fait que les produits de la marque sont des produits écologiques comportant un maximum d’ingrédients naturels à la différence des produits cosmétiques conventionnels. L’accent est mis sur le mode de production des produits, et non sur leur utilisation par le consommateur, qui n’est pas représenté. En outre, l’agence et la société contestent que les produits cosmétiques soient qualifiés de produits de santé. Enfin, ils précisent que les chiffres utilisés sont parfaitement documentés, les sources étant indiquées en bas de la publicité.

Concernant le principe de concurrence posé par la Recommandation « Produits cosmétiques », également invoqué par la FEBEA, il est indiqué que la publicité en cause ne vise aucune marque de cosmétiques en particulier, et ne constitue donc pas une publicité comparative. Elle n’utilise aucun élément graphique, visuel ou textuel qui pourrait permettre de désigner directement ou indirectement une marque concurrente de produits cosmétiques. Dans ces conditions, la règle déontologique invoquée n’est pas non plus applicable.

L’annonceur insiste enfin sur le fait qu’elle fait partie d’un réseau « militant ». Elle cherche ainsi à se démarquer des autres, sans les stigmatiser, en montrant qu’il existe une alternative à des pratiques ou à des modes de consommation aussi courants que dommageables à l’environnement.

Le groupe de presse contacté par le secrétariat du Jury a indiqué que le visuel mis en cause par la plainte n’est jamais paru au sein de ses magazines car il a été refusé par les éditeurs. Il a été remplacé par le visuel du même annonceur représentant une fraise, de laquelle entrent et sortent des camions de transport accompagné du texte « N’achetez pas de fraises (en hiver) ».

3.L’analyse du Jury

Le b du point 1/1 de la Recommandation « Produits cosmétiques » de l’ARPP dispose que « Les messages ne doivent pas être construits sur des arguments dénigrants visant un ou des produit(s) concurrent(s) ».

Le Jury estime que trois conditions doivent être réunies pour caractériser un manquement à cette règle :

D’une part, les arguments utilisés par le message publicitaire litigieux doivent présenter un caractère dénigrant, ce qui suppose une volonté de jeter le discrédit sur un produit, notamment par des allégations erronées ou susceptibles d’induire en erreur le consommateur ;

D’autre part, le dénigrement doit porter sur des produits cosmétiques fabriqués ou commercialisés par des concurrents de l’annonceur. Contrairement aux règles encadrant la publicité comparative, la Recommandation n’exige pas qu’une marque ou un annonceur soit nommément désigné ou aisément identifiable. Cette disposition peut donc trouver à s’appliquer lorsqu’est visée une catégorie précise de produits cosmétiques fabriqués ou vendus par différentes entreprises.

Enfin, le message publicitaire litigieux doit être « construit sur » des arguments dénigrants, ce qui suppose qu’il en soit le propos principal.

Le Jury estime que ces trois conditions sont remplies en l’espèce.

En premier lieu, la publicité en cause  invite impérieusement les consommateurs à ne pas acheter de produits cosmétiques non bio ou non écologiques, en raison de leur composition et de leur impact sur l’environnement. Elle laisse entendre que ces produits cosmétiques, dits « conventionnels », peuvent habituellement contenir jusqu’à 25 % de parabènes. Or comme l’indique la FEBEA, il résulte d’un arrêté du 6 février 2001 modifié, fixant la liste des agents conservateurs que peuvent contenir les produits cosmétiques, que la concentration en parabènes est limitée à 0,4% pour un ester et à 0,8 % pour un mélange d’esters.

L’existence de produits cosmétiques dont la concentration en parabènes dépasse ces plafonds et qui sont ainsi fabriqués et commercialisés dans des conditions illégales, ne saurait justifier qu’ils servent de base de comparaison standard avec les produits bio ou écologiques, d’autant que leur proportion au sein des cosmétiques conventionnels n’a pas été précisée par la société et serait extrêmement modeste selon la FEBEA. En outre, le visuel utilisé laisse entendre que les cosmétiques conventionnels seraient les seuls à procéder d’un mode de fabrication industriel, impliquant notamment des émissions polluantes. Si le Jury comprend, à l’audition des explications de l’annonceur et de l’agence, que les représentations stylisées d’usines et de matériel chimique font uniquement référence aux silicones et parabènes évoqués dans l’encadré, c’est-à-dire aux ingrédients chimiques des cosmétiques conventionnels, et non aux modalités techniques de fabrication de ces derniers, qui ne diffèrent pas substantiellement de celles des produits bio ou écologiques, il considère que cette lecture n’est pas la plus intuitive pour un consommateur moyen.

En deuxième lieu, le message publicitaire litigieux vise une catégorie identifiée de produits, à savoir les cosmétiques conventionnels, qui font concurrence à la catégorie « produits cosmétiques bio ou écologiques » que commercialise l’annonceur.

En troisième et dernier lieu, la comparaison avec les cosmétiques conventionnels constitue le propos essentiel de la publicité en cause, comme le montre le message d’accroche.

Dans ces conditions, le Jury est d’avis que la publicité litigieuse méconnaît le b du point 1-1 de la Recommandation « Produits cosmétiques » de l’ARPP. En conséquence, il considère qu’il n’y a pas lieu d’apprécier sa conformité à la Recommandation « Allégations santé », et en particulier de s’interroger sur le point de savoir si cette publicité suggère un lien avec la santé, dans la mesure notamment où les produits cosmétiques constituent des produits de santé (puisqu’ils sont régis par la 5ème partie du code de la santé publique intitulée « Produits de santé »), ou si le message publicitaire porte exclusivement sur des considérations environnementales, relevant le cas échéant de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP.

Le Jury prend note enfin de ce que ce visuel n’est plus utilisé.

Le présent avis sera publié sur le site internet du Jury de Déontologie Publicitaire.

Avis adopté le vendredi 12 septembre 2014 par M. Lallet, Vice-président, Mmes Drecq et Moggio et MM. Benhaïm, Carlo, Lacan et Leers.