Avis JDP n° 389/15 – SALLE DE SPECTACLES – Plaintes partiellement fondées

Avis publié le 08 février 2016
Plaintes partiellement fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu les représentantes de l’association plaignante, ainsi que, d’une part, la plaignante agissant à titre particulier et, d’autre part, les représentants de la société d’exploitation de la salle de spectacles, de l’agence de communication et de la société d’affichage,
  • et, après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 22 octobre 2015, d’une plainte émanant d’une personne agissant à titre particulier, puis le 27 octobre 2015, d’une plainte émanant d’une association féministe, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une campagne publicitaire diffusée sous forme d’affichage dans le métro parisien, pour promouvoir le nouveau nom d’un lieu de spectacles sportifs et artistiques.

Cette campagne comporte plusieurs visuels dont deux ont suscité les plaintes susmentionnées :

L’un montre une joueuse de tennis à genoux, se tenant la tête entre les mains, accompagné du texte écrit en très gros caractères « Le seul lieu où les femmes sont à vos pieds ».

L’autre montre des bras tendus en l’air portant un corps, accompagné du texte écrit en très gros caractères « Le seul lieu où on peut peloter des stars sans se soucier des conséquences ».

2. La procédure

L’annonceur, ainsi que la société d’affichage ont été informés par courrier recommandé avec avis de réception du 10 novembre 2015 des plaintes dont copie leur ont été transmises et des dispositions dont la violation est invoquée.

L’annonceur a indiqué ne pas être à l’origine de la campagne, l’annonceur étant une autre société anonyme d’exploitation à laquelle elle a concédé le droit d’utiliser sa marque dans le cadre d’un contrat de licence.

Cette affaire qui devait être initialement examinée lors de la séance du Jury de Déontologie Publicitaire du 11 décembre 2015 a fait l’objet d’un report, à la demande de l’annonceur.

3. Les arguments échangés

La plaignante agissant à titre particulier considère que les slogans de la campagne sont choquants en ce qu’ils manifestent une violence misogyne et constituent une atteinte violente à l’intégrité même des femmes de notre société : le premier « Le seul lieu où on peut peloter les stars sans se soucier des conséquences » sous-entendant que si on ne  « pelote » pas les femmes, c’est par seul souci des conséquences et non par respect de l’autre, le second « Le seul lieu où les femmes sont à vos pieds » faisant référence à la soumission de la femme.

Elle ajoute que, présents dans les médias, les rames de métro et les rues, ces messages contribuent à la continuation d’une violence intériorisée qui, ainsi affichée, devient une violence banalisée dans une société où moins de la moitié des femmes agressées sexuellement le dénoncent et où 100% des femmes qui prennent les transports en commun affirment y avoir été exposées.

Elle souhaite, par sa plainte, alerter sur les utilisations dégradantes des paradigmes de la violence faite aux femmes. Que cette violence soit physique ou morale, elle n’a pas sa place dans l’espace publicitaire public qui doit être un espace de liberté entre les hommes et les femmes. Il apparaît dangereux de jouer sur le vocabulaire du sexisme et de la misogynie pour promouvoir un lieu de divertissement.

L’association plaignante énonce que ces publicités sont profondément sexistes et dégradantes pour l’image de la femme et utilisent des schémas de pensée liés à la domination (femme à genoux) et fait référence à l’impunité des auteurs en cas de « pelotage ».

Sachant qu’une femme est en droit de porter plainte pour ce genre d’acte, le texte suggère qu’il y a des possibilités d’échapper à la loi alors qu’il s’agit d’une agression sexuelle.

L’annonceur explique que les publicités objets des deux plaintes ont été diffusées à compter du 21 octobre 2015 à Paris, dans le cadre de la campagne d’affichage publicitaire pour l’ouverture du lieu de spectacles sportifs et artistiques, comprenant plusieurs visuels sur les thèmes du sport et de la musique.

Elle affirme avoir fait procéder au retrait des visuels portant le message « Le seul lieu où les femmes sont à vos pieds » immédiatement après avoir été avisée des réactions suscitées par la campagne.

Le visuel comprenant le message « Le seul lieu où on peut peloter les stars sans se soucier des conséquences » n’a, en revanche, suscité aucune réaction négative. Cette publicité joue sur l’humour, et ne contrevient pas, selon l’annonceur, à la Recommandation « Image de la personne humaine ». Elle estime qu’en particulier, les griefs de sexisme formulés sont infondés, la publicité ne faisant aucune référence à un sexe en particulier.

La campagne a pris fin le 5 novembre 2015. La période de diffusion a donc été extrêmement brève et a cessé à son initiative et celle de son agence.

L’agence de communication affirme avoir été touchée par les réactions suscitées par sa campagne car elle est engagée depuis sa création dans les causes citoyennes. Elle revendique des valeurs républicaines d’égalité et être investie dans la lutte pour l’égalité hommes-femmes qui est au cœur de ses préoccupations.

Les réactions suscitées par la campagne lui semblent en réalité être le résultat d’une incompréhension et d’un malentendu.

Cette campagne jouait sur les clichés : il s’agit de l’un des ressorts classiques de la publicité par le biais duquel elle interroge la société et en dénonce les travers. C’est précisément l’objet des publicités litigieuses qui visaient à détourner, à interroger et tourner en dérision certains clichés sexistes.

Elle explique que la campagne prenait en outre plusieurs précautions qui lui paraissaient empêcher tout malentendu.

En premier lieu, la campagne jouait tour à tour sur les clichés de la domination masculine (visuel comprenant le message « Le seul lieu où les femmes sont à vos pieds ») et féminine (« Le seul lieu où les hommes se battent pour vous »). Ceci semblait à l’agence de nature à éviter toute interprétation univoque et donc sexiste.

Par ailleurs, les slogans indiquaient que la salle de spectacles était « Le seul lieu » où certains comportements, objets de fantasmes récurrents et prohibés pouvaient s’exprimer. Ils soulignaient ainsi que ces comportements n’avaient pas droit de cité dans l’espace public.

Enfin, le fait que les slogans aient été accompagnés de photographies présentant les évènements festifs et conviviaux du lieu (concerts, compétitions sportives) créait un décalage et un univers de second degré de nature à désamorcer une interprétation littérale des textes.

L’agence indique que lorsqu’elle a été avisée des réactions suscitées par la publicité portant le message « Le seul lieu où les femmes sont à vos pieds », elle a immédiatement pris la décision, conjointement avec l’annonceur, de faire procéder à son retrait, dès le 24 octobre 2015 (soit seulement 3 jours après sa diffusion, la campagne d’affichage ayant été lancée le 20 octobre 2015). La campagne a ensuite pris fin le 5 novembre 2015.

La société d’affichage indique que cette campagne a été affichée sur les réseaux qu’elle exploite sur 480 panneaux 4×3 sur les quais, du 21 au 27 octobre 2015 puis sur 80 panneaux 4×3 du 27 octobre au 2 novembre 2015.

Elle se composait de 4 déclinaisons :

La déclinaison 1 est composée de deux visuels affichés côte à côte : le premier, à gauche portant le slogan « Le seul lieu où les femmes sont à vos pieds » et le second, à droite, représentant une joueuse de tennis les genoux et tête au sol, faisant apparaître la marque et en bandeau « …, le nouveau temple du sport et du spectacle, ouverture en octobre, métro Bercy, Retrouvez toute la programmation sur AccorHotelsArena.com. »

La déclinaison 2 est composée de deux visuels affichés côte à côte : le premier, à gauche portant le slogan « Le seul lieu où les hommes se battent pour vous » et le second, à droite, représentant deux judokas au combat, faisant apparaître la marque et en bandeau « …., le nouveau temple du sport et du spectacle, ouverture en octobre, métro Bercy, Retrouvez toute la programmation sur (le site internet). »

La déclinaison 3 est composée de deux visuels affichés côte à côte : le premier, à gauche portant le slogan « Le seul lieu où on peut crier de plaisir sans déranger les voisins » et le second, à droite, représentant l’avant plan d’une foule de spectateurs levant leurs bras en l’air, faisant apparaître la marque et en bandeau « ….., le nouveau temple du sport et du spectacle, ouverture en octobre, métro Bercy, Retrouvez toute la programmation sur (le site internet). »

La déclinaison 4 est composée de deux visuels affichés côte à côte : le premier, à gauche portant le slogan « Le seul lieu où on peut peloter des stars sans se soucier des conséquences » et le second, à droite, représentant des bras levés et supportant une personne (technique du « slam » dans les concerts de rock), faisant apparaître la marque et en bandeau « …, le nouveau temple du sport et du spectacle, ouverture en octobre, métro Bercy, Retrouvez toute la programmation sur (le site internet). »

La société d’affichage indique avoir été alertée par la société de transports dès le 22 octobre, de plaintes émises via « Twitter » contre cette campagne jugée sexiste, émanant notamment d’élus locaux.

L’annonceur a demandé le 23 octobre, de recouvrir ou masquer le visuel « femmes » de 10 panneaux dits « dessus de voies », qui nécessitent des coupures électriques sur autorisation de la société de transports et qui ont été recouverts dans la nuit des 27 et 28 octobre.

Les plaintes reçues par le JDP portent sur les déclinaisons 1 et 2, qui sont analysées en commun alors que les stars peuvent tout autant être des femmes que des hommes.

Elle explique que ces plaintes lui paraissent non fondées et en tout état de cause disproportionnées dans les conséquences et effets qu’elles attribuent à la campagne.

La société d’affichage estime que cette campagne, conçue pour chaque déclinaison avec un visuel de typographie associé à un visuel photographique, est en cohérence avec l’activité promue, à savoir le sport et le spectacle/concert et emprunte à des codes d’humour qui ne portent nullement atteinte à la dignité des personnes, et ne sont pas sexistes.

Elle représente des scènes directement issues des activités qu’elle promeut, en les illustrant par des slogans qui lui semblent devoir être interprétés littéralement et non sous un sens partisan, et s’adresse à un public soucieux de la liberté d’expression.

Considérant que cette campagne ne contrevenait pas au point 1 de la Recommandation « Image de la personne humaine » de l’ARPP, la société d’affichage n’a pas sollicité le conseil de l’Autorité sur cette campagne, qui a été appréciée dans sa globalité.

La société d’affichage ajoute que, à la première demande de l’annonceur, elle a fait déposer et/ou recouvrir les visuels de la déclinaison 1.

4. L’analyse du Jury

 Le Jury rappelle que la Recommandation « Image de la personne humaine » de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) dispose :

Point 2 – Stéréotypes sexuels, sociaux et raciaux

2.1 « La publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet.

2.2 « La publicité ne doit pas cautionner l’idée de l’infériorité d’une personne en raison de son appartenance à un groupe social, notamment en réduisant son rôle et ses responsabilités dans la société. »

2.3 « L’expression de stéréotypes, évoquant les caractères censés être représentatifs d’un groupe social, ethnique, etc., doit tout particulièrement respecter les principes développés dans la présente Recommandation. »

Sur le visuel dont le slogan est « Le seul lieu ou les femmes sont à vos pieds » :

La publicité mise en cause représente une joueuse de tennis agenouillée la tête dans les mains. Ce visuel est accompagné du slogan « Le seul lieu où les femmes sont à vos pieds ».

Le Jury relève que la photo présente sans ambiguïté la situation d’une joueuse sur un court de tennis dans une position couramment adoptée par les sportifs, qu’ils soient hommes ou femmes, dans le cadre de la fin d’épreuves sportives lorsqu’ils sont victorieux. Il estime que cette mise en situation dépourvue d’ambiguïté, qui fait appel à une attitude connue du public, ne permet pas que celui-ci puisse l’interpréter comme de la prostration, ou comme l’illustration d’une femme qui serait soumise ou humiliée. Par ailleurs, le slogan « Le seul lieu où les femmes sont à vos pieds » montre par sa terminologie même qu’il n’est pas d’autre lieu où les femmes seraient « aux pieds » de quiconque.

Cette publicité n’apparaît pas, compte tenu de son absence d’ambiguïté, pouvoir être perçue par le public comme banalisant les violences dont les femmes sont victimes.

Le Jury est donc d’avis que cette déclinaison de la publicité en cause ne méconnaît pas le point 2 de la Recommandation précitée.

Sur le visuel dont le slogan est « Le seul lieu où on peut peloter des stars sans se soucier des conséquences » :

Le Jury relève que si ce slogan est ciblé sur les stars, il induit l’idée que l’attouchement d’une personne n’est prohibé que parce qu’il est susceptible d’entraîner des conséquences pour son auteur. Cette terminologie occulte que la raison première de la prohibition des attouchements imposés à une personne se trouve dans le respect d’autrui et non dans la réprobation ou les conséquences qui y sont liées. Ce principe est, de plus, particulièrement sensible dans les transports en commun et s’agissant des femmes principales victimes de harcèlement physique dans ces enceintes.

En conséquence, le Jury est d’avis que le slogan de cette déclinaison de la publicité en cause n’est pas conforme au point 2 de la Recommandation précitée.

Avis adopté le vendredi 8 janvier 2016 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, Mme Lieber, Vice-présidente, Mmes Drecq et Moggio ainsi que MM. Benhaïm, Carlo, Depincé, Lacan et Leers.